Pendant le weekend

J’ai trouvé ce boulot

J’ai trouvé ce boulot. Dans une boîte. Une vraie boîte. Un bâtiment gris en forme de boîte. Un bâtiment en tôle, quatre façades neutres, un toit neutre, une entrée, un parking. Ça s’ouvre, ça se ferme, comme une boîte. Tout est neutre. De l’extérieur, impossible de deviner ce qu’il se passe à l’intérieur. La boîe d’à côté, c’est la même, en un peu moins beige.

À la « Cogecep dif », on stock et on livre mais je ne sais pas exactement quoi. Plusieurs sociétés nous refilent leurs machins anonymes sur palettes. On les garde. La plupart du temps tout est extrêmement enveloppé, figé dans un plastique translucide qui interdit toute identification rapide des produits.

Je travaille au parc P8. Je travaille avec une douchette, un lecteur de codes barres. Je n’ai même pas besoin de savoir de quoi il s’agit. J’enregistre ce qui rentre, j’enregistre ce qui sort. Il pourrait sortir des machines à laver, des plats cuisinés ou des corps dépecés, j’enregistre les palettes entrantes et sortantes. Je pense qu’il s’agit plus probablement de cadavres fraîchement découpés. Il plane une forme de mystère autour de ces emballages cartonnés qui peut laisser penser qu’un organisme malveillant nous envoie sans scrupule des corps tronçonnés, pensant qu’un organisme comme le nôtre n’irait jamais vérifier le contenu de ces cartons sagement conditionnés. Et puis on n’a jamais pris la peine de me préciser quels types de produits sont stockés à la Cogecep. En revanche, pour mieux me responsabiliser, on m’a dit que mon poste était capital. On ne m’a pas dit en quoi.

Je fais ce qu’on me demande. J’enregistre. J’en n’ai rien à foutre, mais je le fais bien. Personne ne me dit si je travaille correctement ou non. Je sais que je suis irréprochable. C’est bien pour ça qu’on ne me dit rien. Il n’y a rien à dire. Personne ne viendra me dire : « Hey, tu as super bien passer la douchette sur le code barre, ce matin. Je t’ai regardé faire et j’ai trouvé ton geste très juste ». Non bien sûr. Il n’y a rien à dire. Je ne dis rien non plus. Je n’ai rien à dire à mes collègues. Je les découvre. L’un d’eux est celui qui m’a présenté à la direction. Mais je ne le connais pas plus que les autres. Un beau jour, chez le vieux,  je suis descendu de ma chambre, il m’attendait assis sur une des chaises du salon. Il m’a dit : « J’habite dans la rue, à quelques numéros d’ici. T’as pas de boulot et ils embauchent là où je bosse ».

Ce travail est simple. Mal payé, mais payé. N’importe qui peut le faire. C’est bien pour ça que je le fais.

Adrien Villeneuve

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