Pendant le weekend

Sur le bureau

C’est la musique de la bande originale du livre de KMS qui passe, réalisée par Pierre Ménard pour sa Radio Marelle et sa Poésie sur Ecoute. C’est en fond sonore depuis quelques jours à la maison, seulement, évidemment, je retranscris des entretiens, et sans musique. Il faut s’arrêter de travailler, pour faire vraiment quelque chose.

Quoi ?

Ce qu’on laisse sur son bureau. A quoi ça peut bien servir ? Des images, prises ici ou là…

Elles se trouvent là un peu n’importe comment

pas vraiment classées, ni répertoriées, elles sont là, attendent, je m’en suis déjà servi, mais je ne les ai pas rangées, elles doivent rester un moment, pour me parler des endroits qui n’existent plus

tout au moins en l’état, en ces jours où on se demande bien sous quel coup tordu  va être enfoui encore l’honneur ou la simple dignité, dans quelle mesure les choses sous lesquelles nous plions, le poids de tous ces mots, de toutes ces analyses, mais de toutes ces morts qui nous incombent, à nous tous, dans quelle mesure nous pouvons en être tenus pour responsables, ces hommes sont nos enfants, nos frères, et l’esprit, l’âme, le libre arbitre les fuit, on en conçoit probablement quelque peur, probablement est-on soi-même aussi tellement dégoûté outré asphyxié par ces mots, ces faits et ces actes, une image tient pour nous un caractère de simplicité, de tranquillité et de sagesse

photo merci à Lilou ©

oui, au fond, c’est Santa Maria della Salute, devant le petit bateau est un taxi ou la navette de l’hôtel Cipriani – mille cinq cents euros la nuit, une paille- le canal, la ville, cette autre, là

c’est une carte postale que j’ai ramenée de là-bas, je suppose, elle se trouve à présent au dessus de l’évier, sur la montagne, ce sont des images qu’on aime, elles restent là un moment, on les regarde passer, on les transforme un peu

ici une vue des voies de chemin de fer qu’empruntent les trains qui vont à Londres, la capitale du pays où règne sa très Gracieuse Majesté, les attentats de Londres, ceux de Paris en 1995, on prenait le métro quand même, on avait peur et on regardait sous les sièges, la stratégie de la tension italienne des années soixante dix, tout cela est écrit dans les journaux, des tonnes et des tonnes de papier qu’on peut recycler, l’encre aussitôt sèche est séparée, la pâte  est rendue à elle-même, on retend, on laisse reposer, une presse, on resèche, on recommence, on imprime ici les noms des auteurs, là celui des victimes, les explications des techniciens, les avis des témoins, des voisins, les résultats des enquêtes,  aujourd’hui une euro et demi, dans les rues avancer, lire et se tenir au courant, pourquoi faire ?

le ciel là-haut, brille et le temps reste au beau, printemps, chaleur, les vacances ?

de petites choses qu’on trouve dans la rue, qu’on regarde, le décor qui nous entoure, nous ceint, nous accompagne, avec nos idées et nos envies comme nos besoins, on est là, au monde, marchant dans ces rues

repérer pour l’ami notulographe, prendre une photo, l’invent’hair, voler un profil ou une façon de se tenir

non, il n’y a pas le point et c’est tant mieux, ils se reconnaîtront mais pas nous, et puis il n’y a rien à faire, il faut tout de même continuer, ce matin j’ai vu les fleurs avancer dans les arbres, les petites blanches, les petites feuilles vertes de ton laurier, ça ne vit que dehors, très bien, les fleurs blanches de la rues qui entourent l’église, ce doit être Saint Josepph ou quelque chose, celle-ci qui est prise de plus haut

ou prendra la même photo quelques semaines plus tard car le travail avance, le désert aussi disait la chanson

et dans quelques semaines, accomplir son devoir civique,

c’est au champ de Mars, là où il lui arrivait de marcher, puisqu’il y avait un pied à terre, une garçonnière, un bureau, on se souvient de ce dix mai quatre vingt un mais on n’y fut point, à la Bastille, l’époque n’était pas à l’élection, c’est ensuite qu’elle vint, mais pourquoi faire, je me demande, ce n’est donc qu’un jeu et si on gagne, très bien et si on perd, eh bien le lundi on ira au travail, il ne se serait presque rien passé, plus haut dans ce monde où règne l’administration, les grandes écoles et l’entre-soi, on passera les pouvoirs, les cartons, les maroquins et les choses comme avant recommenceront

des millions de personnes reprendront leur course, sur leurs corps poseront leurs vêtements, courront encore, des chefs de bureau, des employés administratifs, toute cette humanité grouillante des villes, semblables, à peine différents de quelques teinte, quelque courbure des cheveux, quelques centimètres ou kilos, la même espèce toujours prête à s’affronter, à s’honnir, s’agonir et se déchirer, les mêmes pourtant, tous tellement les mêmes… Alors pour eux juste quelques roses et au loin, le fleuve


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1 Comment

    Très beau texte, vraiment, tout y est, entre les images… Je ne sais que dire de plus.