Pendant le weekend

Carnet de voyage(s) #24

Pour aller de Tunis à La Marsa puis Gammarth, on peut prendre une autoroute qui va à l’aéroport, continuer suivre « Carthage », sortie N10 probablement, route de la Goulette, on descend vers la mer, la route croise le TGM en surplomb. Quelques mètres avant ce pont et ses piles, une petite maison.

C’est au trente quatre, avenue du théâtre romain. Une petite maison, la grille de fer forgé peinte en bleue, arabesques maintenue fermée par une chaîne et un cadenas, dans le garage  une voiture, monospace gris américaine ou quelque chose, l’ovale

© Alice Lilou

qui surplombe l’entrée, la photo de mes deux soeurs assises là tenues par leur père (c’est aussi le mien, quelle destinée) cette maison, voilà tout, se souvenir de la rue Fabert, au premier étage, cet homme d’affaires, complet dans les marrons chemise dans les rayées et les roses, cheveux ondulés et yeux noirs, l’invitation au bord de l’eau, Gammarth sans doute, les villas avec piscine car la mer est juste à quelques mètres mais empruntée par la foule, peut-être, le snobisme est partout, on a fermé la route qui menait à la plage, Amilcar, gardée par des motards, on vend toujours de fausses lampes à huile authentiques de l’époque punique, Hannibal et ses éléphants, cette histoire de bazar mercantile, mais que faire, le vendeur de bombolonis était là, comme d’autres, les drapeaux flottaient sur le palais du président, construction de Bourguiba réalisée à coup de dynamite, « aouja Bourguiba » (« Bourguiba est arrivé ») crié par tant de monde, les mains ouvertes qui claquent applaudissent et le type sur son cheval blanc, son fez, sa cape, des images, des idées de l’Indépendance

© Alice Lilou

le voici, ce pont du TGM, la voici cette rue qui descend, les vacances ce sont des jours entiers à lire, se promener, aller voir Neptune, la plage a changé, aller voir les nouvelles constructions (les jardins de Carthage, une horreur qui ressemble à Cytadium ici, c’est à ne pas croire, aussi bien on trouvera comme à Lisbonne le même magasin de meubles à monter soi-même qu’il en est à Livry Gargan ou dans la banlieue de Copenhague), le mois de juin elle nous emmenait à la plage tous les midis, mais pourquoi faire ?, « bientôt on ne pourra plus », on y allait, elle prenait le café avec sa mère, en plein soleil, dans la Dauphine rouge, « venez les enfants » et on y allait, puis des années plus tard, cette maison louée sans doute, des loyers à faire revenir en France, les papiers, les difficultés, les sourires de mon père gentiment « tu n’y arriveras jamais » et elle, obstinée, sur le terrain cédé par la famille de mon père cette maison bâtie avant que je ne naisse, puis elle, veuve, qui se bat pour parvenir à la vendre, cette maison, tandis que son beau-frère et sa soeur s’étaient installés en Italie, que son autre soeur vivait à l’hôtel depuis quarante huit, son frère sur le quai d’Orsay, cet appartement en rond dont on voit encore au troisième étage les baies qui donnent sur le fleuve, et les autres de la famille, les départs par le train de huit heures moins le quart, la journée à Paris et son retour avec des sandwichs qu’elles nous achetait, le jour où le mandat arriva, le sourire de son mari « tu y es arrivée toi, hein » l’amusement dans son rire, ses gros mots, son rire, ses danses, enfin cette maison porte son prénom, c’est très bien, tant mieux, ce n’est pas qu’elle y vive encore, ou qu’elle puisse vivre à nouveau sous prétexte que cette villa se tient toujours debout, avec ce numéro 34, cette avenue goudronnée, le soleil le ciel bleu comme les volets et la grille, il n’y avait pas d’arbre, pas de végétation, il ‘y avait pas de voisin, non plus que de goudron sur la route qui croise à droite où se tenait cet arabe sur son vélo, me regardant passer, moi qui courait auprès de la quatre chevaux beige, la porte s’ouvrant bizarrement le volant dans la main droite essayant de ralentir cette course vers la pile du pont, le choc et le bruit et elle qui vient en courant, ce n’est pas si grave, ce n’est pas si loin, vingt mètres tout au plus, non je n’ai rien, non elle ne me punit pas alors pas plus qu’à Nice Côte d’Azur, confus et tellement coupable déjà, ou alors j’ai oublié, une aile froissée, un phare brisé quelle importance ? Et le garage de mon oncle Robert, et ces quelques fleurs de bougainvillées, pour elle


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1 Comment

    mais la maison est toujours là (dans le pays proche il n’y a plus que le hangar à bateau)