Pendant le weekend

Carnet de voyage(s) #45

Ce mot : « il faut savoir terminer une grève » a toujours suscité une sorte de pathétique tristesse. Une fin, la fin du voyage, oublier Istanbul et « revoir Paris, un petit séjour d’un mois » disait la chanson, voilà six semaines et depuis, la bêtise le dispute à l’ignoble, le sang s’écoule des plaies des morts un peu partout dormez en paix, braves gens, non encore un passage dans les souks, non les bazars, les verres de thé qui attendent au bas de la porte de cette bijouterie

un petit tour pour regarder encore ce qu’on ne parvient pas à nommer, ces sortes de saucisses

(on distingue à cette devanture les grosses gaufrettes rondes que vendait le type dans le bateau, voici les kagit helva -leur nom donné par Aurélie Touniaire, merci à elle) ces rues où pas une voiture ne passera, ces petits métiers qui assurent la dignité aux plus pauvres, aux plus endurcis, aux plus démunis comme aux fous, une ville comme celle-là, avec ses gens

 

qui vont décidés vers leurs occupations, avec ces oiseaux au ciel, ses bateaux sur l’onde, comme je l’ai aimée (merci de m’y avoir emmené), ses ruelles, ses boutiques, pois chiches et riz

viande encore emballée

ses milliers de bracelets

(la joie du vendeur quand je lui ai demandé de prendre en photo ces bijoux) ses milliers de mètres de parements

des hommes qui portent sur leur dos des kilos de cartons, des sacs plus gros qu’eux, les bazars illuminés, les rues et leurs gens

on y retournera, c’est sûr, leurs immeubles, la poste qui fait penser à celle de Venise

il y a quelque chose à dire, oui, cette manière de manquer les photos parce que ne pas vouloir être vu les faisant, les prenant dit le monde, ne pas vouloir être jugé à l’aune de cette pratique, observer sans espionner mais le faire savoir c’est espionner, de loin le cireur de chaussures

de loin, et cet homme qui s’en va après avoir retiré des billets à l’automate, c’est cette distance de l’homme à l’automate, on ne la perçoit pas mais une femme lui succède, le temps est passé, ce regard, cette manière d’avancer, le téléphone, non la peur vient de plus profond, sûrement quelque chose que ces jours-ci ils et elles sont à combattre, Taksim nous y sommes passés puis empruntant le premier métro funiculaire du monde, manquant de tomber (maintenant, début de semaine  la chute dans la cuisine glissade cette autre sur les briques cette façon d’entrevoir l’avenir, quel est-il, l’avenir sinon celui qu’on sait, tous, et de tous temps et toujours, un passage et puis c’en sera fini), le Bosphore et la Corne d’Or à présent ne sont plus qu’aux cartes

(on y retournera, oui), dans le métro, les arpenteurs qui contrôlent les billets, gilets de couleur vive

les repérer, ne pas frauder ne pas enfreindre, mais photographier quand même

à l’aveugle (ça ne donne pas toujours ce qu’on veut), puis ensuite plus calmement, c’est déjà l’heure, oui ce qui change ici d’un métro à l’autre ? Rien. Cet homme attend et fume

il y eut, tout à l’heure dans la poste, ce tableau d’Ataturk, Mustapha Kemal

et le voilà flou parce que la peur de se faire surprendre, sûrement, alors que rien sinon le fantasme, rien sinon ne pas parler la langue, mais le monde est ainsi et les humains, dans leur humanité, le sont aussi, ainsi, on regarde, on sent, on touche les tissus les plus doux, les images les plus souples, la réalité de la Terre

revoilà le tarmac, revoilà dans l’avion ses voyageurs

les souvenirs de celle qui disait « en avion, c’est terminé d’un seul coup et c’est tant mieux », le décollage, l’escale à la nuit

chercher une porte pour sortir fumer, une cigarette quel bonheur, j’aime ça (je ne fume plus depuis près de dix ans) la fumée, le soir et le ciel qui s’assombrit, redécoller, revoir les nuages

et les hublots

revoir les lumières et les pistes

de retour, de retour vite l’autobus, sur la place de l’Opéra, dans cette rue transverse où siégeait l’American Express (peut-être y est-ce toujours: cette rue n’a que cette adresse), reprendre le métro

en effet rien ne diffère, les gens poser ses sacs voir ces chaussures bicolores

et penser  au Cotton Club, Istanbul est loin, les portes se ferment, le signal sonore comme disent les hauts parleurs, les totems de la technique au fronton des quais

quelle différence de Paris Louis Blanc à Istanbul Topkapi

une jolie couleur

un joli reflet de l’homme qui à ce hublot-là dort

et la nuit, tranquille et sombre, la rue descend vers Belleville, il est tard, tu sais, il est bien tard

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4 Comments

    et merci de nous rendre l’amour discret des humains

  • Istanbul-Belleville : le voyage ne peut en finir, le bazar est toujours présent (et la place Taksim aussi), merci pour ce nouveau flash-back!

  • @ brigetoun : merci à vous

  • @Dominique Hasselmann : c’était le dernier… (avant les suivants, bien sûr)