Pendant le weekend

Carnet de voyage(s) #54

C’est le vendredi qu’on s’en est allés. Il était quatre heures, on allait prendre le bus (Denfert, 9 euros je crois) , il y avait une femme assise là, vêtue dans les oranges et les roses dont le mari (l’ami, l’amant, l’homme, le compagnon, que sait-on de ceux qu’on côtoie dans nos voyages ?) arriverait à l’arrêt Montsouris, il aurait une valise rose, porterait une veste ou une chemise du même ton, des mocassins, un pantalon vert, quelque chose de couleur, il y avait du monde, il y avait sur le boulevard de ceinture de nombreuses voitures, puis l’autoroute se déplierait jusqu’à Orly (j’aime Orly), l’aéroport du sud, au loin les cieux brilleraient, et le soleil et le bleu, on allait partir, on partirait, Venise, oui

un type taperait un clopo, une tige de huit comme on disait, on attendrait un peu, l’avion s’en irait et au dessus des nuages, au dessus loin, on percevrait au loin d’autres machines volantes aux panaches noires, et puis on se poserait, en douceur, le commandant de bord n’aurait pas annoncé quelque chose, mais le chef de cabine lui, oui (notamment les ristournes opérées par le loueur de voitures « partenaire » de la firme qui nous transportait – les prix pratiqués par ladite firme l’autorisent probablement à dévoyer son personnel en vendeurs, il faut occuper le personnel qui n’a plus rien à donner de nos jours, ils passent et vendent, vendent et tentent encore de vendre des articles de luxe « 40% de rabais », on se demande quand la firme leur fera porter des vêtements clignotants et on a honte pour le travail) les hôtesses de l’air auront un sourire figé et dans les oranges seront elles aussi vêtues, on aura atterri, on aura entendu dire que le soleil se couche sur la lagune (on n’est pas avare de poésie, dans les avions, mais à huit heures, plus d’astre : ce  n’est pas qu’il s’agisse de mensonge, non, mais juste des chromos comme on en voit dans les images du milieu du siècle dernier, tout a changé, mais point ce travers), l’aéroport a été nommé Marco Polo (on pense aux pâtes et à la Chine), on prendra la navette (baptisée « shuttle », il faut au moins cela), quelque chose comme 6 euros, on prendra la route, doublera Mestre (les vitres de cette navette seront recouvertes d’affiches de publicité poreuses, c’est la nuit, certes, mais il y a là quelque chose d’ignoble et de tenace, de la même eau que celle de la firme qui loue ses sièges d’avion, quelque chose de tenace de notre monde, notre propre monde sale et gluant, quelque chose qui nous avilit et nous fait nous haïr nous-mêmes d’emprunter de tels moyens pour quoi faire, au fond ? rejoindre une ville, quelques kilomètres), on arrivera, il sera neuf heures peut-être, une nouvelle passerelle aura été jetée sur le grand canal, à la hauteur de la gare de chemin de fer (la Ferrovia, Ferro via, s’en aller en chemin de fer, la prochaine fois, en chemin de fer disons…) et on rejoindra la chambre, on dînera, et le lendemain, par la fenêtre de la chambre

la petite place et le soleil, on oubliera les conditions du voyage

et on ira voir, parce que Venise, c’est d’abord voir

voir quelque chose qui ne change pas, une demi douzaine de siècles peut-être

j’ai regardé dans le guide, il s’agit du campo Santi Giovanni e Paolo (la statue représente un certain Bartoloméo Colléoni ; le campo c’est le nom de la place à Venise;  saint Jean et saint Paul), il y a les touristes dont nous sommes, il y a les Italiens qui en sont aussi, et les Vénitiens qui accueillent tous ces autres, si on suit cette rue (ce n’est pas une rue, c’est une « calle » à Venise; tout change de nom, c’est amusant si on n’est pas complètement paumés) à quelques cent mètres on trouvera une librairie française, on avance, on marche, on monte des escaliers et on passe sur des ponts qui dominent des canaux, des gondoles des taxis, et des bateaux, livraisons ordures ménagères ou pas fuel ambulances polices et corbillards : l’ordonnance technique et l’intendance passent par les canaux, l’institution -on verra des bateaux du conseil général, de le justice, d’autres encore

et partout, très souvent, des lions – celui-ci à l’entrée de l’église monumentale de la place (3 euros l’entrée), on continuera la marche vers l’est de la ville, l’Arsenal, on passera quelques ponts, et on se retrouvera sur la terrasse d’un petit café (1 euro), au bout de la via Garibaldi, là où elle se sépare en deux, un gâteau au citron, une bougie dans l’église en souvenir de ceux qui ont disparu (entrée gratuite), le soleil au rendez-vous

le vert des marquises comme celui des toiles ou des volets, une statue à la gloire de l’unificateur de l’Italie, dans le jardin

le lion a ses pieds, la biennale (25 euros l’entrée, 30 pour deux jours) d’art contemporain (non merci), des oeuvres, le vaporetto (autobus des grands canaux – carte pour trois jours 35 euros, autant de parcours qu’on le souhaitera) qui nous emmène sur l’île san Giorgio Maggiore où d’autres merveilles nous attendent

dans le reflet, Santa Maria della Salute, au loin, et si on distingue à l’intérieur, un humain

la beauté de la vie, la beauté de l’eau et des lieux, c’est vrai qu’il fait beau, le bord de la lagune, au loin l’Adriatique

bateaux qui croisent, on marche passant devant les portes d’hôtels de luxe, au loin les quais nommés Zattere (non Fondamenta : on s’y perd)

on aura parcouru une exposition d’un artisan verrier (je ne sais plus), là un homme regardera le livre contant l’exposition

ressemblant à un de mes oncles, celui nommé Forunato, boutons de manchettes et chemise de soie, une moue dédaigneuse, les gens m’amusent tant qu’ils restent des gens, éloignés et éphémères, capturés, l’eau des canaux, celui de la Guidecca empruntés par des mastodontes (pas de photo) haut de trente ou quarante mètres, longs de peut-être cent cinquante, une horreur, des milliers de passagers dont certains dansent sur leur balcon privé, quel bonheur

ils passent, laissent derrière eux la beauté des choses

vaut-il mieux les oublier, penser à notre échelle, oiseaux qui volent et mouettes qui crient

à travers une fenêtre sentir l’odeur de l’iode et du soleil, des algues et du sel, laisser derrière soi la Guidecca, laisser derrière soi la lagune et rentrer doucement et sans bruit

le lion de la porte

et les nuages qui tout à l’heure, peut-être, s’épaissiront

 

 

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3 Comments

    oh oui il FAUT prendre le train pour arriver à Venise, s’ennuyer un peu, et sortir de la gare sur un canal
    et il faut éviter de regarder, en été, les touristes dont les tenues de certains sont une injure faite aux pierres.
    Merci pour l’évocation (cliché cette ville sans doute, mais que j’aime)

  • Venise sans son lion ou sans Garibaldi ne serait plus Venise (même si les Garibaldiens tiennent boutique à Paris, rue des Vinaigriers, comme tu sais), et le ciel et la lagune sont toujours là, c’est rassurant malgré les siècles et les invasions (François Pinault, amateur d’art).

    Photos que l’on se plaît à re-garder.

  • « à travers une fenêtre, sentir l’odeur de l’iode », dîtes-vous, vous qui nous permettez de sentir l’odeur de l’iode à travers l’écran de notre ordinateur dont vous faîtes une fenêtre sur la lagune …