Pendant le weekend

Atelier 18.24

24. consigne : caméra temporelle

sur un et un seul des paysages fragmentés de la 23, le développer selon plusieurs positions temporelles précises d’énonciation, soit mémorielles, soit imaginaires
(il m’arrive de nommer les diverses composantes de cet atelier- surtout aujourd’hui – je vais voir si je peux parvenir ày arriver pour els autres)
Le pont du chemin de fer

je me souviens, j’ai trouvé ça :

« … ils ont bouclé toutes les sorties de la ville pensant qu’on allait faire des allers et retours, mais non, la ville dans notre logique de guérilla urbaine, c’est notre champ de bataille, la zone franche, le lieu qui te protège, nous avions fait le choix de nous fondre dans la ville… »

entendu de Valerio Morucci

l’un des fondateurs des brigades rouges, enlèvement assassinat d’Aldo Moro

années soixante dix-huit, en mai, la stratégie de la tension, les attentats « tirer dans les jambes » et les autres, Bologne et sa gare et ses voies de chemin de fer et ses centaines de morts et de blessés, dix ans plus tard à regarder passer les gens et à les compter du haut de ce promontoire, puis laisser aller, descendre sur le quai, regarder les gens entrer et les compter tout en avançant vers le pont tournant, le bouquet d’arbres, le rond-point, marcher tout en regardant, se retourner et faire son travail sérieusement tout en repensant à ces histoires qui font l’histoire, je ne me souviens plus exactement – soixante dix-huit tu sais c’était le retour de l’armée, la fin de la licence de maths et les questions qu’on se pose sur les aboutissants et les tenants de ces malheureuses tentatives de rester intègres et dignes – l’armée et ses gradés et cet ignoble état d’esprit – réfractaire, désolé et malheureux, la tristesse devant ce qui avait sauvé le monde de la guerre – en septembre ça avait été la mort qui avait frappé L. ses deux enfants et sa femme dans cet accident de voiture, du côté de Deauville, la jaguar dans les bleus ou les verts je n’ai jamais su – oublier

tout oublier – la ville, les sentiers, les arbres, la musique, il y avait cette chanson qui faisait « qui ne tenait plus guère que par un grand mystère et deux piquets tout droit » la détestation de ce chanteur qui ralliait la droite et son petit commissionnaire, je me souviens, il y avait dans le poste parfois des chanteurs le petit conservatoire, soixante deux je me souviens, puis la soirée de Guy Béart, le grand échiquier et l’eau tiède du présentateur « dieu dans tout ça », je me souviens mais la télé d’alors est morte, elle n’est plus de saison, on tente de vivre et de gagner son pain – c’est le lot, loyer à deux cents francs pour la chambre dans ces années-là, rue Cujas au dessus de la poste, à deux pas des cinémas mais de cinéma de cette époque-là il n’en reste pas, une sortie comme une autre, sans doute onéreuse – l’entrée à la cinémathèque était d’un franc et on avait droit, les années précédentes je me souviens de lui, Henri Langlois soixante quatorze

présentant je ne sais plus le film mais s’excusant du fait qu’il fut sous-titré en suédois – un de Sjöström il me semble (la Charette fantôme, peut-être bien) –  une copie, je ne sais plus mais je me souviens, Claude Beylie et la recherche des vieilles boîtes Pathé à Vincennes, je ne sais plus des années passées – quelques temps avant, quelque temps plus tard, voilà tout en octobre, monter les marches se retrouver sur le tablier du pont de chemin de fer, compter les entrants, deux, plus un, peu de monde – je me souviens de cet ex-ministre je crois bien mort d’une balle perdue – Fontanet, Joseph – en sortant de la cinémathèque je me souviens des jeunes gens qui tirent dans les vitres des abribus, ils sont en jeep de l’armée – je me souviens – cinq heures du soir et c’en serait terminé, aller sur l’autre quai, le rond-point et l’hôtel, regarder l’entrée, toujours, continuer à marcher – il se peut que je fume, alors – les boyards maïs de l’armée – la ville ici, je me souviens, le travail de ces deux jeunes femmes sur les abords du bassin de la Villette, je me souviens de mes efforts, avais-je quarante ans, boulevard Raspail était-ce cette école-là, je me souviens dans la quatre cent trois bleu nuit, un soir de juillet soixante, je me souviens sur le quai glisse une péniche qui se nomme Demoiselle, Moondog continue et je me souviens, il est temps de retourner sur le quai d’en face, il fait doux Malou – ainsi se terminait ce livre, je t’aimais tant – je t’aimais bien tu sais – pour aller du Belvédère (la maison se trouvait rue du Mexique, il me semble elle se nommait alors, cette rue, rue Kellerman – en haut de la maison se trouvait une terrasse couvertes de tomettes rouges et rectangulaires, le linge y séchait sous la chaleur du plomb) pour aller du Belvédère à Juvénal (rue Es Sadikya, si j’ai bien compris, mais je ne me souviens pas, je n’avais pas cinq ans) il fallait passer par cette passerelle-là au dessus des voies de chemin de fer, j’avais ma main dans la sienne, il marchait – si je parviens à bien me souvenir, il avait peut-être bien soixante six ou sept ans – on avançait ensemble, un homme, il est de quatre vingt dix, un adulte dans mon souvenir cet homme un peu voûté, un peu chauve, sourire et lunettes de fer, je me souviens le voilà qui s’arrête et se penche vers moi, sans doute s’accroupit-il un peu, me demande ce qui ne va pas, « tu as faim ya amri ? » quelque chose du sourire, le voilà qui sort de sa poche une tartine – était-elle dans une serviette ? – pain beurre sel et poivre – depuis ce jour sans doute c’est le sel que je préfère au sucre – il marchait je ne sais s’il y avait du soleil mais c’était le matin, la passerelle de fer passait au dessus des voies de chemin de fer, elles allaient à la gare – je ne sais plus la gare, je ne sais pas, tu me demandes mais je ne sais plus – comme aujourd’hui elles passent au dessus du canal

cette eau qui ne bouge pas, la Demoiselle au bout de la perspective s’éloigne vers Meaux, l’est là-bas au loin, les moulins, le périphérique qui gronde – il y passe peut-être une Déesse – au bout, au loin le bouquet d’arbres, le monde qui bruisse, le vent qui doucement dans les cheveux– regagner sa place – est-ce bien ma place ? – sait-on jamais, avancer dans la vie, gagner sa vie, le monde tourne et la musique se tait

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1 Comment

    et cette fois je crois que j’ai la primeur ici (quoique n’ai pas regardé le site de l’atelier depuis sept heures ce matin…
    toujours frappée par la diversité de ce qui répond aux vidéos de François Bon… richesse