Pendant le weekend

Coloniales

Coloniales
Auteur : Philippe Maurel – Première édition 27 août 2010
Éditeur : publie.net

Suivre le blog de l’auteur / http://laviedangereuse.wordpress.com/

Copyright : zoohumain.com

Coloniales s’ouvre sur une citation de Thomas Bernhard. « Le froid augmente avec la clarté. Désormais règneront cette clarté et ce froid. »

Et le gris.

Coloniales n’est ni un roman, ni un récit, ni un essai, il est tout à la fois. Une planche empruntant ses techniques à la gravure au noir, une cartographie indiquant nos déplacements dans le cours de l’H(h)istoire, une succession de plans d’aménagement des sols ou panoramas photographiques à la manière de Ruscha.

Copyright : Ed Ruscha

La structure narrative se déploie par lieux/histoires/mémoires, repérés au préalable sur une carte d’état major, puis explorés, fouillés, dévoilant les indices, les traces de leur présence : les occupants, les assaillants, le lecteur. Suivre intimement les axes, tenter d’en comprendre les bifurcations, lorsque le texte ou le narrateur prétend s’égarer le long des lignes.

Ces lignes ont une vague idée de l’endroit où elles se dirigent mais ignorent encore comment on y parvient.

Tente  t – il vraiment de nous guider à travers ces méandres, lorsqu’il évoque parfois les lieux familiaux, lorsqu’il nous égare au cœur des dispositifs historiques et des héritages coloniaux.

Une forme d’archéologie urbaine. La mémoire est fouillée. Son édification dévoilée, dans ce qu’elle peut avoir de plus refoulée, inquiétante, violente. Amnésie. Monstrueuse. Les images surgissent derrière l’écran, se superposent à la cartographie intime et révèle, pour qui sait encore les regarder, le travers.

Un écran, donc où quelques figures surgissent, hors lignes parfois, pour indiquer leur  présence, à partir de points choisis et isolés sur la carte, reliés les uns aux autres, avec entre ces points, ce qui peut les rassembler. À la recherche du point d’origine.

Pourquoi s’arrêter là ? Vienne, Paris, Vincennes, Alger, la banlieue parisienne, le Chili. Pourquoi surgissent-ils : le Monstre de Vienne, Papon, Thomas Bernhard, Bollano. Pourquoi les lieux se conforment-ils aux contrôles du corps social de cette façon-là : les déportations, les séquestrations, les immigrations, les tortures, les détentions, les meurtres. Et leurs espaces bâtis. Architecturés.

Inventaire de faits qui tous appellent un présent rendu transparent par l’Artifice déployé dans nos villes. Camouflages.

Copyright : Lynn Cohen

Presque toujours les même mots, dans un assemblage nouveau parfois, mais qui disent qu’une chose en fait, disent la même chose toutes les fois, disent et repoussent à la fois, tiennent à bonne distance : la monstruosité, l’absolue monstruosité.

Pour circuler d’un lieu à l’autre, d’une époque à l’autre, il nous suffirait de prendre le bus, ligne 26, de Paris à Vincennes : 26 ou 62, retour en Algérie.

Laissant encore quelques minutes mon esprit flotter, sans ligne directrice, renonçant encore quelques instants à lui donner de la chair à mordre, repoussant pour un temps le moment de rassembler ces mots et ces phrases, d’autres les ranimeront un jour.

Vincennes et  l’enfant Roi, la révolution, le zoo, l’exposition, l’armée, la rétention, l’Algérie, les occupations. Toujours fouiller ce qui jouxte le lieu désigné.

Vers Paris. Les façades des gares parisiennes. Où se déploient depuis toujours les dispositifs de contrôle. Artifices des architectes.

Puis retour au point de départ. L’ Algérie, appelé, le père. Et les photographies bon enfant.

Nous ne sommes pas partis pour faire couler le sang et nous remplir les poches.

Mais nous sommes déjà sortis de la carte d’état major.

Ce qu’il en reste de la littérature, de ces quelques lignes au milieu de l’écran, derrière les vitrines, le bruit des marchandises de la circulation des hommes et des marchandises, des hommes comme des marchandises.

 

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