Pendant le weekend

Sur le bureau #7

 

à C, et à Y.

 

Il y a une chanson, cette Piaf-là, « je danse et je ferme les yeux/ je crois que c’est encore nous deux »

 

sur les marches de cette maison

naquit le 19 décembre 1915

dans le plus grand dénuement

EDITH PIAF

dont la voix, plus tard, 

devait bouleverser le monde

 

 

c’est le monde quand il tourne, le manège, on voudrait peut-être en descendre parfois, mais « c’est pas bien malin… » et il continue, nous aussi, on avance, et on regarde, les choses et les gens, « il y a les bords de la Seine… », la rue de Belleville en son soixante douze, des choses, vraies ? on se le demande, et le monde lui, tourne toujours, le temps qui passe, les reflets aux yeux des enfants peut-être est-ce la seule chose qui donne de l’espoir, rire et courir, attraper cette vitrine

ils ont pris une voiture, c’était la fin des années cinquante, et vers l’est, loin, vers l’est, sur le siège arrière, il y avait peut-être bien leur fils, dans le ventre de la passagère, à la place du mort, la soeur du môme assis derrière, cheveux bruns, raides, se demander le chemin par où ils sont passés, la direction c’était Karachi pas Islamabad, par Venise, dis-moi,  les passages des douanes, chercher aussi à savoir quelle était donc la marque de cette voiture, quelles étaient donc ces valises, ils laissaient loin derrière eux cette Picardie qui l’avait vue naître, est-ce que c’était à Corbie, dis moi, Conty ou encore…? et loin aussi plus loin encore, après ce pas de Calais, loin il n’y avait pas de tunnel, Londres

oui, voilà dis-moi, il l’avait gagnée par bateau la capitale du Commonwealth, on parle anglais on parle ourdou, mais c’était où à Kensington ? dis-moi, le monde comme il va, ils sont probablement passés par la Syrie aujourd’hui le feu le sang la mort les crimes l’horreur l’infamie des hommes, probablement par l’Iran du Shah d’alors, probablement, probablement, se souvenir de la maison de Cambo, la piscine, basque, de plain pied, les arbres au loin l’océan, loin la pluie de novembre, se réunir un jour, un restaurant, les deux enfants des adultes des enfants eux-mêmes déjà presque mariés pour les uns, on a attendu qu’ils grandissent, on a regardé le temps s’en aller,  on a ri on a dansé, il y avait là un orchestre, des Mexicains ou quelque chose, Montmartre les touristes et les Marriachi

« jm’en fous pas mal/c’qui peut m’arriver n’importe quoi./ j’ai mon passé qui est à moi », Mossoul Ispahan, peut-être, je ne sais pas, pas réussi à savoir, une lettre, quelques semaines d’attente, un mot qui revient un jour je ne sais pas où il est, les voyages, New York et la traversée des Etats Unis en auto aussi, oui, voilà la route soixante six, louer une voiture et aller au Canada, visiter Boston, Philadelphie, Chicago et les grands lacs, il faudra que tu me racontes, oui, et les souvenirs de cet appareillage de golf qui est là, le caddy qui s’appelait Habib, des gants et des tees, ses bois, ses fers, lorsqu’il allait à Anglet avec sa voiture grise, le golf de Chiberta, lorsqu’il écoutait la radio dans sa voiture au soleil, ces souvenirs de l’avenue du théâtre Romain, au loin était-ce cette maison des Latécoère je ne sais plus, le soleil et le vent, et tenter d’apprendre à piloter un avion quand on a le coeur un peu défaillant, ce sourire,  « où est le problème ? » et son rire, la mort, mais s’en moquer et cette façon de ne jamais arriver à prononcer les « r » malgré sa vie de cinquante années en France, la couleur de sa peau, celle de ses cheveux à elle, ce gris sur la photo du frigo, et ses lectures, en parler, Modiano, Malaparte, Le Clézio et les Américains, Wharton Austen dans le texte, oui voilà, Styron qui est né le même jour (trente ans plus tôt) les films et le cinéma, la musique surtout, des goûts d’intellectuels, toujours cru qu’elle avait enseigné dans ce collège de la rue des Pyrénées mais c’est une erreur, ou alors trop de souvenirs, le violon aussi bien, le piano, les canapés de cuir bleu et la table de verre, la maison du dix septième et Noël au Pecq, la Comédie Humaine reliée pleine peau, leurs amis, leur famille, la Défense au loin

cette photo prise le jour même où elle a été , près de lui, dans un petit village, mise en terre, ce n’est pas hommage (un peu), ce n’est pas de désespoir, simplement pour marquer qu’après tout, un temps sur terre, bâtir et construire

 

cette autre prise tout à l’heure, la vie est une bataille, toujours, et qu’importe couleur de peau, frise du cheveu ou courbe des arcades, qu’importe langages, peu importe nous rions tous de la même manière, et s’il s’agit des mêmes choses, non pas de jambon, nous sommes amis, partis avant moi, oui, rester encore un peu plus seul d’eux, peut-être, mais sur la même terre que les autres amis

la nuit ? oui, la nuit et après, pourquoi pas, si ce n’est pas ma famille, elle l’était d’adoption et le reste, « j’m’en fous pas mal /ce qui peut m’arriver, n’importe quoi / j’ai mon samedi qui est à moi / c’est ptête banal / mais ce que les gens pensent de vous /ça m’est égal, jm’en fous… Et puis y’a le bal qui vous flanque des frissons partout… le reste, après tout/ jm’en fous »

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