Pendant le weekend

Ne se souvenir que des belles choses

Recommencer à travailler, emprunter des rues un peu oubliées, croiser une usine désaffectée

sans doute âgée de quelques dizaines d’années, peut-être d’ailleurs y travaille-t-on encore, recevoir un mail « votre projet est passionnant, mais je ne vois pas… » en effet je continue, il y avait peu de monde, c’était samedi, une promenade avant d’aller éditer et imprimer, chercher et interroger, marcher, prendre cette rue-ci (elle se nomme Delesseux – apparemment un propriétaire – les noms de rues aux propriétaires, les loyers aux locataires)

pour se muer en Edgar Varèse, (avenue du nouveau conservatorie, lequel se trouve à droite, collège à gauche, Edgar Varèse tout autant), on avance et on croise un arbre

pelouses, familles, chiens, exposition de photographies (pas ouverte, entrée libre du mercredi au dimanche, de quatorze à dix neuf) se souvenir de ce pavillon, Blanc, Tusquets, Delouvrier aujourd’hui, se souvenir des années (il y a vingt ans) où j’y croisai Jane Evelyn Atwood que j’adore toujours, se souvenir des milliers de personnes interrogées, mandala, royal de luxe, fête foraine, se souvenir des tensions du travail, des obscènes et des idiots (est-ce bien nécessaire de s’embarrasser de ce type de souvenir, de ce genre d’images de personnels abjectes et innommables ? non) continuer son chemin et croiser une librairie, se souvenir du feuilleton « Berlin Alexander Platz » Rainer Werner Fassbinder, toute la nuit, et le matin, petit déjeuner, rencontrer des spectateurs, je me souviens du jazz, de ce vieux BB King et de sa gibson noire, de tant d’autres, j’ai oublié qui jouait mais je me souviens de ces après-midis avec les iliens en complets blancs chemise rouge qui allaient au Zénith, des jeunes gens jouent toujours au football (ce ne sont pas les mêmes certes), de ceux qui riaient à la nuit « Madmax », qui hurlaient lors de la projection de « Abbysses », je me souviens de ce vieil homme qui venait à pied d’Opéra « c’est facile, me disait-il, je prends la rue Lafayette et c’est toujours tout droit… « , ses cheveux blancs, avec son pliant, qui s’installait, couverture et short et marcel, sous la cabine du projecteur, parler à des centaines de personnages, des feux d’artifice (Ricardo Basualdo, quelle magnifique énergie), des cirques, du fil-de-feriste qui traversait le canal (ici ce sont des marches qu’on emprunte pour le traverser)

je me souviens,des bals et des musiques, « si tu reviens jamais danser chez temporel, un jour ou l’autre… », les jeunes ou les moins jeunes, le dimanche matin sur la pelouse qui me disaient « les journalistes dehors !!! » légèrement agressifs, comme des abrutis qu’ils étaient (mais est-ce donc le sport qui rend con ? je me demande et je revois Churchill « No sport », et ces catégories, la pratique et l’usage, les arts martiaux, et le cinéma) ces choses-là passent, les blessures symboliques, les rires et la joie, l’appel téléphonique de mon commanditaire qui m’invite au restaurant, et « non, Pierre, non on ne peut pas présenter ça…  » navré, marri, désolé, et moi souriant : « non ? mais ça ne fait rien, je vais te le refaire comme tu veux… », opter pour le littéraire, relater les journées entières passées dans les arbres, entre eux, sur le bord du canal, sans que l’eau n’aille dans un sens ou l’autre, marcher dans la nuit et interroger ce type qui sort de « la nuit électronique » (dernière enquête quatre vingt quinze) « mais non ce qu’on aime c’est justement que ça bastonne…! », le sourire le café au bar, alors je continue, je marche le jardin du dragon est mort depuis quelques années, mais le monde, lui, vient toujours ici, la nature comme l’herbe est verte et que l’air est joli

la ville reprend le dessus, je me souviens de Jane qui me dit de mon texte « je le prends…! » avec son si gentil sourire, ce n’est pas que je n’aime pas cet environnement (qu’est-ce que c’est que ce mot ?), ce décor, ces lieux, non, ce n’est pas ça, j’y passe, j’y travaille et je m’en vais, dehors le ciel est toujours plus clair, hier un écrivain est mort, un homme de théâtre a tiré sa révérence, on se dit que sur terre restent des nuisibles et d’autres aussi, alors on lit, on pense, on reprend le métro ou on marche, on avance sur ce chemin où on croise sept boites pendues à des pylônes

(l’une d’elles est cachée) on prend une photo

puis on en prend une autre (cela s’appelle une série)

« au loin (sous le pont Mirabeau) coule la Seine et nos amours faut-il qu’il m’en souvienne », on pose quelques mots, quelques photos, un billet, et derrière son épaule, on se retourne, le passé a déjà disparu, s’en est allé son chemin et sa voie, alors pour lui et pour l’avenir, quelques fleurs

 

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5 Comments

    Je vois que vous avez retrouvé Apollinaire.

  • C’est qu’à Paris il est difficile d’y échapper, je trouve (bien qu’il soit né à Rome…)

  • je me souviens… tant que Sami Frey est toujours là… le théâtre reste debout et Chéreau regarde à distance…

  • Heureusement que les rêves et les souvenirs se surimposent au monde, et qu’on les arpente dans vos phrases.

  • merci de venir les partager…