Pendant le weekend

atelier hiver 20_21 troisième Hélion numéro 4

 

 

 

 

 

 

des choses

Attendez que je vous raconte – la fiction contemporaine – le roman d’aventure ou policier ou exister par l’écriture – noir – la fiction sincère n’existe pas – ou plus exactement la fiction est insincère – ne rien inventer, tout est dans l’image, dans la recherche de l’image, de cette maison, dans les bleus, de cette adresse à quelques kilomètres de Sao Paulo, ou ailleurs en ville, quelque part dans une banlieue où se cacher, un décor – éviter la narration, éviter de donner des gages et des explications : marcher dans la nuit – l’espionnage et l’histoire le type traqué et trouver quelqu’un d’assez indigne pour le tuer – on ne sait pas exactement s’il y a de bonnes raisons de tuer quelqu’un par exemple parce qu’il a commis des atrocités, parce qu’il en a tué lui-même de nombreux autres – une bonne raison y suffirait-elle ? – les images perdues lors de défaillance du disque dur (on n’emploie pas disque dur on n’emploie pas ordinateur on est en soixante-quinze quatre-vingt) – cette idée de faire don de soi à la cause comme le maréchal nous voilà – Maurice et son canotier – qu’est-ce que tu risques, la prison ? la prison à vie ? ça a été, cette vie-là, mais pour la vieillesse, une éventualité : écrire et en vivre – tu vois maintenant que la vie décélère grâce à cette maladie d’opérette – aujourd’hui on affirmera qu’on parviendra à se tenir en bonne santé par la force des laboratoires – ici nous sommes dans le laboratoire, aux murs ce sont carreaux de faïence, blancs – on essaye de trouver une bonne raison à ce type, je lisais son histoire et voilà ce que j’ai trouvé page deux cent quatorze : « apprendre à se noyer dans la foule et à se camoufler, « des lunettes de soleil et un chapeau sont indispensables » précise-t-il, à repérer une filature et à semer ses poursuivants » – le laboratoire et son excroissance châtrée dans fablab – au bout du téléphone il y a votre voix et il y a les mots que je ne dirai pas – longtemps je ne me suis exprimé que par des paroles – de chanson si tu veux si tu préfères : de même pour les adresses au lecteur, ou la lectrice (Miou miou et ses valseuses) – ça ne veut pas partir, ça veut rester, cela ne m’est de rien – il y a ce trio, il y a cette voix et elle se dérobe toujours : il y a bien un type qui regarde, le lundi après-midi, l’entrée du tueur dans la banque (rien d’anormal : il croise ma grand-mère et ses deux sœurs, elles sont vêtues d’astrakan, dans l’avenue sous les arcades, même si la banque est de l’autre côté ; de cet autre côté, on ne voit que des arbres, peut-être des mûriers, il n’y existe pas d’arcades ou de passage – retourner dans la rue du Vingt-Septembre et regarder les hommes en mobylettes et les femmes en robes colorées – en profiter pour y faire quelques clichés, à reproduire dans le journal d’ici ou de là (c’est dans celui du CLAN) – reconstituer la galerie) – une autre chose, une autre voie, un autre atelier peut-être – il y en avait une (de photo) du couloir, jamais au point, on y distinguait pourtant le calendrier offert à noël (elle était dans les beiges, cette photo) un peu comme les carnets de maintenant (il y a une photo au dessus, mais je ne me souviens plus) – et la bibliothèque haute dans laquelle se trouvait les livres de science fiction, tous ces asimov van vogt matheson dick tellement d’autres brown sturgeon misère d’autres encore curval pelot cette vie à lire (que des hommes aussi) – où se trouvent à présent les galaxies et les fictions de mon père ? – il faut tenir le chemin, en bas ces compositions à partir des articles de « à suivre » déchirés reclassés, des albums entiers – l’exemplaire du quai des brumes dans sa version de 27 offert par BF (j’ai toujours pensé qu’il l’avait pris dans la bibliothèque de FL rue Titon) – il y avait d’autres choses encore, tellement d’autres choses – sur la gauche, une autre bibliothèque (je vais chercher la photo, elle doit bien être quelque part – c’est pas de jeu (je la poserai pendant le week-end) – c’est vrai mais on ne joue pas, si ? ici oui, aujourd’hui oui on joue un peu – on s’amuse à se souvenir : dans le canapé un peu petit (recouvert d’un tissu aux fleurs pastelles et roses et vertes) – il se dépliait en lit – il avait appartenu à H. et à son mari, dans la salle d’attente du cabinet – mais qu’est-ce qu’il faisait son mari, médecin quelque chose ? je n’ai plus ces souvenirs – il était psychiatre, sa consultation avenue Parmentier, sa maison à Saint-Mandé) (sa maladie, son sourire, sa disparition) – elle doit être classée à « couloir » – elle était à « biblio » (sur l’étagère du haut, derrière les moulages et autres* réalisés au lycée Henri 4 le dimanche matin, des livres un peu érotiques comme l’amant de lady Chaterley, de cet ordre) – dans les beiges – on aperçoit la boule de papier japonais qui faisait office de lustre – la lumière qui entre par les portes ouvertes des chambres, c’est que c’est l’après midi, l’appartement orienté sud-ouest et le soleil tous les après-midis, on avait acheté des stores, des rideaux pour les chambres, doublés occultants – j’aurais aimé poser aux fenêtres ces toiles vertes qui recouvrent à l’extérieur les fenêtres en Italie mais non – les fenêtres restent ouvertes mais l’entrée de la lumière et de la chaleur en est empêchée (je me demande pour l’accord) – dans la bibliothèque de gauche à mi hauteur peut-être bien quelques cassettes vidéos hors d’âge – osciller toujours entre cette description d’un petit intérieur et celle d’une autre image, ce cinq mille cinq cent cinq Alvarenga à Sao Paulo qui n’est pas le lieu du forfait du contrat mais celui où vivait le Josef (il collectionnait les yeux des jumeaux) – durant quelques années, les soixante dix du siècle dernier passé terminé oublié perdu – illusion leurre mensonge : il faudra bien que ça continue, mirages, j’aime assez cette Norma bien qu’elle ne croise jamais mon chemin, tu crois que je peux m’y reconnaître, moi-même ? sans doute le style opère-t-il, il y avait cette chanson qui disait

« Les hommes au fromage
s’enveloppaient de tabac
flamands taiseux et sages
et ne me savaient pas »

il y avait cette autre

« moi qui me traîne et m’éparpille dans les bras semblables des filles où j’ai cru trouver un pays »

un tueur qui manque singulièrement de libido – pour les deux autres, c’est moins sûr – « Pierre ta chanson » –

« depuis l’enfance je suis toujours en partance je vais je vis contre le cours de ma vie »

des mots stéréotypés, des idées semblables à celles des autres, des sentiments qui mentent comme dirait la psychanalyste, s’accrocher à quelque chose, des images et des musiques, surtout des musiques s’il te plaît – l’adresse au lecteur est surtout à celui qui écrit, est-ce lui, est-ce elle, qui prend la parole, il faut bien qu’il y ait quelqu’un qui raconte cette histoire, il le faut bien : « cette chanson était la tienne, c’était ta préférée je crois, elle est de Prévert et Cosma » – oh je voudrais tant que tu te souviennes… il faudrait élaguer, ôter enlever ajouter un article ici en ôter d’autres ailleurs, les chansons qu’aimaient les parents, le sourire de mon oncle dans le salon de l’appartement du quai sur le bord du lac, les fauteuils de cuir fauve, il écoutait Aznavour « tu te laisses aller », il me semble qu’il fumait des Craven qui étaient dans un paquet rectangulaire rouge bordé de blanc, je le vois, comme s’il était là, il y en avait en tout cas dans le vide-poche de l’auto, elle était blanche, décapotable à l’avant comme à l’arrière des banquettes revêtues de cuir rouge il y avait aussi le passage d’un de ses cousins, José-Luis de Villalonga lui était sosie, l’amant de Cléo, uniquement des chansons françaises, rien d’autre, l’alliance atlantique repassera, quelque chose avec les communistes les cocos les ritals les portos les citrons les viets ou les ricains – parce que les années soixante, parce que tout y aboutit si on se laisse aller à cette pente, les envies de meurtres ne peuvent guère nous épargner, on avait la chance de se tenir au sein d’une famille, deux sœurs et un frère un père adorable une mère d’un même tonneau – on avait dit autre chose que l’histoire vraie – ça balance d’un côté de l’autre on aime à savoir que ce ne sont que des étapes, des essais, une autre image ne vient pas, regarder la taille des tableaux peut-être cette correspondance, atelier, ce F comme les fab-four : écrit, ça prend une drôle d’allure – dans le bas de cette autre bibliothèque, celle de droite cachée par le montant droit de la porte, les partitions, Abbey road et celles de Julos Beaucarne, de Jacques Higelin, de François Béranger, Patti Smith, une dizaine de Neil Young le sable le parasol « sur la plage » un morceau de voiture jaune et le gros livre des chansons définitives de Bob Dylan, coffret qui m’avait coûté un bras dans ce magasin proche des Gobelins, rue Lebrun ou de la Reine Blanche, j’y suis retourné dernière dans cette rue, le magasin n’existe plus, j’allais au séminaire à Censier écouter voir entendre comprendre comme à chaque fois – le couloir, cette image-là – les choses perdues, les disques vinyle noirs les machines à écrire – des choses, ce ne sont que des choses

 

*ah oui, en haut, la trace jaune, c’est une – c’est vrai – une tirelire du Marsupilami

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2 Comments

    et comme je viens d’envoyer mon petit bidule (que je pense hors clous une fois de plus) je peux tomber sur votre texte qui lui me semble plus près de ce qui était attendu et peux le lire… me reste à affronter les autres

  • @brigitte célérier : merci (je ne crois pas être « dans les clous » comme vous dites- j’ai dû dévier « rêver trop fort » disait bashung… :°) mais ça ne fait rien – votre texte 23 m’a plu)