Pendant le weekend

atelier : les Îles de l’aiR Nu

 

Il s’agit ici d’une espèce d’enquête parallèle à leur travail, mené par deux des membres du CLAN dans une bourgade de la banlieue de Babylone, ou alors un département (le Val-de-Marne) où ils sont en résidence. L’enquête s’est présentée sous forme de questions (il me semble qu’il y a eu un questionnaire antérieur, je ne sais plus bien) plus ou moins ouvertes – je n’en ai fait qu’à ma tête, j’ai répondu suivant l’humeur du moment – j’en ai terminé avec un regard rétrospectif, au numéro six. Je pose ça là, pour mémoire (il y manque le texte numéro 4 qui s’est abîmé – ni ici, ni là je ne le retrouve, mon disque dur s’est retrouvé citrouille à un moment, (texte 5), et sans sauvegarde, les textes assez nouveaux se sont dissous quelque part – il ne figure pas non plus dans les résultats de l’enquête) (je ne sais si je l’avais envoyé, de ce fait, mais je crois que oui) – OSEF comme dirait ma fille – RAB comme on disait dans le temps ou RAS – d’habitude, j’aime à illustrer les textes d’atelier (ici ce n’en est pas un, c’est une enquête) (OSEF RAB RAS) mais j’ai posé aujourd’hui l’image de Milos qui illustrait le 6 – en vrai je ne la retrouve pas non plus… je n’en mets qu’une et ce sera tout (la promenade est droite cadre, les maisons bord cadre). 

1.

Nombres
c’est une assez vieille histoire, ce n’est pas une histoire, il y a quelque chose avec cette affaire d’histoire de narration d’emporter le lecteur – ce n’est pas une histoire, ça devait se passer dans la tour soixante-six – c’eut été plausible que cela se passât dans la soixante et un comme sur l’autoroute du prix Nobel – mais non, soixante six si je me souviens bien mais au deuxième étage, il s’agissait d’un laboratoire – on avait à choisir deux options on prit mécanique informatique, (l’année suivante ce serait astronomie physique des particules) on entrait là mais avant, quelques semaines je suppose, on avait déjà écrit pas mal de lignes de codes – sur la Seine au bout de cette espèce de campus, il y avait des pousseurs qui remontaient le fleuve, il y avait sur l’autre rive la préfecture

et sur la place un peu plus au nord, là où au faîte de la colonne sur un pied volait le génie (il n’était pas si doré, loin de là) – ce doit être un numéro du boulevard, aujourd’hui c’est un salon de coiffure t’as qu’à voir – il y avait un café tout en longueur, les salles du fond donnaient sur la rue de Bofinger c’est probablement une impasse, Beausire ça s’appelle : ces salles de l’arrière du café étaient occupées par des billards français, on y jouait aussi à ces moments perdus – perdus pour la poursuite des études ou gagnés sur le temps qu’on leur consacrait – on jouait aussi au blitz dans l’appartement de la rue de Tourtille, c’était au quatrième sans ascenseur (quand j’y pense, je revois Simone madame Rosa, je revois le petit Momo, j’entends à nouveau « le prix Goncourt mille neuf cent soixante-quinze a été attribué à monsieur Émile Ajar pour son roman intitulé  « La vie devant soi » « ) le blitz est une sorte de jeu d’échec, on y joue vite, la partie ne dure pas plus de cinq minutes – ce sont les mêmes règles le même plateau les mêmes pièces et le but (mettre le roi adverse mat) est le même – on jouait, on riait, on s’amusait – et l’idée nous a pris, il y avait là Marc F. nous suivions les mêmes enseignements, l’idée nous est venue (puisqu’il s’agissait de se faire évaluer noter corriger) de recourir à un programme informatique pour déterminer toutes les cases que peuvent atteindre les cavaliers, les quatre cavaliers (de l’Apocalypse c’est un film de Minnelli, mais aussi un remake de celui de Rex Ingram transposé à la deuxième guerre mondiale – ce dernier film est muet, il est de vingt et un) – et en combien de coups minimum pour les atteindre toutes – on s’y était mis, on avait écrit puis ensuite on avait à retranscrire cette écriture sous forme de cartes perforées qui ressemblaient à celles qu’on voit maintenant parfois chez les turfistes – le même standard, le même modèle, les mêmes dimensions, on y pratiquait des trous rectangulaires, combien y en avait-il ? peut-être deux cents, la carte représentait-elle une ligne de code, je ne sais plus – on allait au deuxième étage de la tour soixante six, il y avait là une porte, qui donnait sur une espèce d’énorme machin(e) qui prenait toute la surface et tout le volume de la pièce, il y avait un lecteur de cartes dans le tiroir duquel sur leur tranche de plus grande dimension on déposait les fiches puis on ressortait, puis on suivait quelque couloir qui amenait à l’autre bout de la pièce – elle devait faire dans les vingt mètres carrés, sur trois de haut, ce qui vous donnerait une soixantaine de mètres cubes – puis là une imprimante plus ou moins dans les dimensions qu’on leur connaît aujourd’hui (la taille du listing, comme ça s’appelait, s’apparentait à un format dit A trois) vous sortait le ou les résultats qu’on avait espérés ou escomptés (le bord des pages était constitué d’un bandeau d’un centimètre de large, pré-découpé, dans lequel de multiples petits trous, tous les deux centimètres peut-être, ronds, avaient été pratiqués), ou les fautes, les erreurs, les incompréhensions – on avait à reprendre, on corrigeait, on s’amusait, on cherchait aussi (je ne sais plus combien de coups étaient nécessaires, non) – première année du diplôme d’études universitaires générales mention sciences des structures et de la matière, à Paris six, en soixante treize.

2. 15 novembre
(toute première fois) Carnet
(cette chanson un peu idiote genre de scie dix ans plus tard) (non mais il n’y a pas que l’internet dans la vie) (deuxième étape qui est la peut-être première – attends moi, j’arrive)

Carnet
j’ai toujours été assez réfractaire à la technique – pourtant j’ai apprécié lorsque mes parents, vers soixante deux, ont pourvu la maison d’un truc en bakélite noir, un cadran doté d’un dizaine de trous sur le devant (on y lisait l’alphabet sous certains des dix chiffres) – mais ensuite sans doute bien après, après les études ou pendant parce que, à un moment, le raccordement au réseau téléphonique (c’est un téléphone, il était noir : plus tard on aurait d’autres couleurs) (je me souviens de l’entrée en licence de cinéma et de l’examen dont le sujet était « le téléphone blanc en Italie ». Point.) (je me souviens de Vittorio De Sica dans le film de Max Ophüls avec la Darrieux) (il y en avait un rouge qui reliait directement disait-on le kremlin (pas Bicêtre) à la maison blanche) (ou l’inverse) le raccordement donc coûtait un bras et nous étions désargentés (financièrement, ça n’a pas beaucoup changé – mais techniquement que oui) l’abonnement était du même tonneau, et la communication itou – et donc on n’avait pas le téléphone on habitait une pièce, on y entrait directement dans une petite salle de bain, au fond on avait une baignoire sabot, sous la fenêtre, un siège toilette un lavabo – à droite la pièce faisait douze mètres carrés – alors pour ceux qui venaient (ou celles) impromptu(e)s, on avait, à l’aide de deux punaises piquées sur le fond en cartons un petit carnet (il n’était pas rouge), accroché à la porte d’entrée, un petit crayon de bois au bout d’une ficelle accrochée au carnet, laissé là pour nous indiquer leur passage – s’ils (ou elles) n’étaient pas trop pressé.es, un rendez-vous, au bar d’en bas (c’était dans la rue Paul Bert) ou au billard de la Bastille de Maubert ou d’ailleurs –

 

3. Machines
Il fallait d’abord une machine à écrire (celle de ma mère, une Hermès Baby crois-je me souvenir, une portable bleue Japy qui se logeait dans son enveloppe, une autre encore, une Underwood ancienne manière trouvée aux puces d’Aligre qui marchait bien, le ruban bicolore, le film de Sam Fuller Underwood USA pour témoin puis elles furent électriques à boules mais c’est une autre affaire) (une image de lui buvant quelque chose dans un Wenders ville blanche je crois bien) je ne cherche pas – il y a avec cette affaire-là (celle qui nous occupe en général, mais pas aujourd’hui, une espèce d’appétence à l’information – quelle année, quelles circonstances, qu’est-ce qui en est dit dans l’encyclopédie, vite fais voir, deux ou trois choses qu’on saura du truc on oublie immédiatement) – il y avait alors, en quatre-vingts puis en quatre-vingt-un, des mémoires puis d’autres choses à retourner à l’administration – celui sur Fuller, puis celui sur le film-annonce puis celui sur les Gitans puis celui sur le cahier de présence (ah non, ces deux-là c’était en socio fin de siècle) puis celui sur autre chose encore, je ne me souviens plus mais il y avait aussi les articles de l’avant-scène cinéma (c’était S. qui les tapait à la machine – perdue de vue) alors on s’y est mis – toujours avec deux doigts, les deux majeurs – la machine à boule Olivetti qui avait un écran d’une seule ligne et quarante caractères mais on pouvait modifier le texte sans se servir des petits tickets oblitérateurs blancs (combien de fautes de frappe par ligne ?) Il fallait se mettre à écrire : ça s’est passé en soixante-dix-sept puis huit, licence en poche on a abandonné les sciences on est passé aux arts – des critiques de films, des histoires à dormir debout – le carnet rouge et noir qui était dans la bibliothèque de derrière le bureau de la maison brûlée – vingt-cinq ans – on n’arrivait pas à se relire, il aurait fallu pouvoir, ma mère a retranscrit le mémoire sur Fuller (je le lui ai envoyé à Los Angeles quand il y vivait – le croisant à Paris un jour il m’a affirmé avec son accent amerlok à couper à la hache « ça flatte mon ego ! » et son gros rire en cigare) – beaucoup avec le cinéma donc que ces machines qui deviendront au siècle suivant ces écrans affublés de clavier modulateur/démodulateur imprimante pour faire bonne mesure figure caméra micro (ainsi que le téléphone de nos jours : il ne leur manque presque rien, on dirait des couteaux suisses).

4.

5. (outils et dépendances)
Ville : belle, très belle même
Le problème c’est cette saloperie de pandémie – qui a surmultiplié les recours à l’internet et au virtuel (comme aiment à le penser ces pourvoyeurs de pourritures commerciales ou de séries etc. ce genre de commerce) – comme j’ai quelques amis libraires et que j’aime assez les livres j’en ai commandé quelques uns à Chartres et au niveau zéro (derrière la gare de Lyon) – ce que je ne fais jamais d’habitude – il y a beaucoup d’avantages, notamment musicaux (paroles, partitions, informations sur les auteurs) à l’information mais elle est sujette, comme toutes, aux faits dits alternatifs, aux erreurs omissions mensonges approximations, des détails manquent ou sont falsifiés – il faut faire attention et croiser les sources comme on dit – il faut s’astreindre à lire aussi (la mode plus ou moins actuelle des tutoriels et autres youtubeurs fadaises égocentriques etc.) – par exemple encore le disque dur qui lâche (les diverses exploitations possibles « prends ton ordinateur soulève-le de 20 centimètres au dessus de ta table et lâche-le » ça m’a plu ; quand le disque dur est changé « pose-le dans le congélo… oh 24 heures et après on verra » ça m’a plu aussi) la machine qui ne veut plus démarrer exactement comme la caisse dans le garage début novembre deuxième réclusion – il n’y a guère de dépendance (vivre avec son temps disait ma grand-mère) ni d’ailleurs d’indépendance comme il n’y a pas d’objectivité ni de subjectivité non plus que de rapport sexuel (ah mon jacquot) ce qui fait qu’on possède (c’est le cas de le dire) des outils qui nous possèdent tout autant, on les choie, on les répare on les nettoie – un seul rézosossio rien à foutre (RAF), du temps de mélico parce que on avait décidé qu’il fallait y être (plutôt HC – j’ai toujours agoni ce genre de fausse connivence complicité amitié que ces rezos exploitent – mais peu importait, on allait comme on voulait) – on continue – il y a des posts commentaires ici (ici même) ou là (à l’ancienne ou à la nouvelle) (à la page) (in) (fuck) – des ateliers (celui de la rue de Lancry DL2V) (dans la vraie vie) – irl c’est un peu comme fuck, ça ne sert à rien (quelque chose contre la novlangue peut-être bien, c’est pourquoi l’argot) – (noter que pour les démarches administratives de merdalakon genre impôts
paiement des « charges » ou des amendes et autres joyeusetés de chiottes, l’État ne s’embarrasse de rien (on y est obligés, point barre) (comme on dit : ./) (mais d’où vient-ce ? langage informatique ?) – du plus loin qu’il m’en souvienne, j’ai eu du mal à dormir sauf sinon – en réalité (DLdeuxV) je m’endors facilement me réveille itou (une heure et demie après, ou six ou huit parfois si la nuit a été courte) c’est égal, je peux faire une petite sieste (deux minutes garé dans la rue en attendant que le médecin ou le vendeur en ait fini avec la personne que j’accompagne) une plus longue (dans le canapé, ou sur le lit ou assis devant le bureau bras croisés tête dessus) (pendant le travail, à la pause) peu importe je ne manque jamais de sommeil (ni de veille d’ailleurs) (c’est que j’aime bien vivre rêver dormir et manger des frites)

Envoi via le site Nos îles numériques (https://www.lairnu.net/ilots/)

6. ÎLES
Que de temps retrouvé ! Afin d’objectiver un peu ces perceptions illusoires, j’ai fait le compte (hier était une journée à peu près normale (je ne sais pas non plus ce que ça peut bien vouloir dire), ordinaire si tu préfères (c’est déjà mieux) mais sans travailler au dehors, déjà), historique du jour donc en consultation nombre de pages (il faut dire aussi que le moindre passage par gsv coûte de l’ordre de dix points) ; or donc mails 49 ; rezosocio (1) 11 ; blogs 52; plwe 32 ; recherche touzazimuts 27 (plus wiki 5); actu 3 ; lecture textes atelier 7 ; musique 10 ; pro (urssaf) 3 ; banque 7 ; gsv 445

une journée normale (encore qu’elle ne le soit pas vu qu’on est en réclusion de 6 à 6)

cette période est haïssable

en vingt, durant son mois de mars (en sa fin, à partir du 18, exactement) le foyer n’a plus disposé de connexion à internet – ça a duré un moment, peut-être bien jusque début avril, une possibilité minimale de cinquante mégas (autant dire rien : une fois les mails et une consultation de sites, gardées pour le travail – parce qu’il y avait travail quand même si tu veux), je me souviens parfaitement de cette voix à l’autre bout du téléphone qui faisait « restez avec moi » (c’est quelque part dans le journal d’alors), mais oui, restez avec moi… pour une connexion de cinq gigas (et dix euros par mois), plus quelques « gestes commerciaux » (d’abord un giga, puis cent tout à coup) (« pour faciliter le travail » m’a dit le type – il était au Sénégal (j’ai demandé), « restez avec moi » était au Maroc) (j’ai demandé aussi, oui) au téléphone, le 7 avril, puis plus tard, il y en avait un peu plus, il y avait aussi beaucoup plus de travail – mais durant ces moments de vide, je lisais et j’écrivais (on lira avec profit une centaine de billets dans « ce qui nous empêche ») (on mettra au besoin, même, un lien)

durant le travail, les frais de connexion, ceux de mises à disposition du matériel et des locaux, l’électricité le ménage la cantine tout ça est à la charge du salarié (il y a eu ensuite des négociations avec les employeurs, tu sais comment c’est « on ne savait pas, oui, il faut faire quelque chose » etc.) (les maladies professionnelles, les troubles musculo-squelettiques, les pétages de plombs, les cris des enfants ou des vieux (ceux-là sont plus silencieux, ils sont parqués en asile, les établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes gardaient un silence de morts – et tu crois qu’on va oublier ?) tout ça, c’est inutile d’en parler, ça ne sert à rien et ça n’est ni efficace ni positif – (je ne dispose pas du statut de salarié) ça s’appelle le (télé)travail qui est du même ordre (je veux dire de maçon) que la (télé)vision – il ne me manque rien, je te remercie (dieu merci aurait dit ma grand-mère) (je l’aime toujours) – j’avance quand même

j’imagine cette merveille sans les autres – parce que, au fond, le virtuel a beau l’être, il n’en est pas moins fait des autres (les crapules comme les amis, les nouvelles comme les vieux marronniers, le reste du monde les voisins, les agents, les sujets, tout y est) (ceux qui sont automatiques gisent au fond de la nuit mais emplissent les dossiers «indésirables ») – tu sais qu’on y travaille ? Sur une autre fenêtre, maintenant, en ce moment même, se déroule une réunion, tout le monde est là, tout le monde écoute (on a fermé les caméras, on a fermé les micros, mais tout le monde est là) – alors s’autoriser, tu repasseras s’il te plaît ? j’ai du boulot – en vrai non, mais j’en cherche (dl2v mais aussi ailleurs) – je cherche je trouve disait l’autre – ces temps-ci, je lis des livres (je les ai achetés d’occasion chez momox, une boite allemande il me semble – sûrement adossée à amazon car qui, dans le livre, ne l’est pas ? ces temps-ci je veux dire ? Et merci qui ?) – blague à part (mais ce ne sont pas des blagues et je ne rigole vraiment pas), trois jours huit ou trente ça ne change rien : s’il y a de l’électricité sur Milos, je branche l’ordi (je suis allé te chercher une photo de la promenade pour que tu te rendes compte, je la poserai au journal le 31) et je me mets à écrire (j’ai des projets – il y a des courses à faire, des olives du poisson, des légumes et les enfants pas trop loin – il y a les amis sur le port, l’ouzo et les pistaches) (il y a des choses qui sont sérieuses, d’autres qui le sont moins) – s’il n’y en a pas (de l’électricité, c’est important tu sais) j’ai mon carnet j’ai des stylos, ne vas pas me dire que ça aussi ce serait prohibé (il ne se passe jamais rien, tu sais bien) alors j’écris quelque chose quelque part au sujet de cette époque-là, dont je me souviens encore parce que ma mémoire n’est pas encore complètement effacée – les livres ont pour argument des biographies de producteurs de cinéma, des actrices de cinéma, des photographes, des opérateurs, des réalisateurs, non – mais je trouverai des choses sûrement, comment c’est sans doute le problème – c’est surtout ça le problème, c’est celui de l’information – s’il y a encore le téléphone, j’appelle mon frère, s’il n’est pas dans la maison d’à côté (ainsi que mon oncle et son frère, une année – était-ce soixante quatre – le troisième frère subissait quelques déboires sentimentaux) et je lui demande s’il se souvient du chef-op de Moderato cantabile, celui de Peter Brook il me demande, j’y dis oui – et on parle comme on parlait à la terrasse du Paris-Rome de Jouvet qui caresse la tête de son môme adopté à la fin de Quai des Orfèvres, ou de la biographie plus ou moins ordurière du patron (derrière ce mot, mettez qui vous voulez) (moi c’est Renoir) (Jean) – il y avait une chanson qui faisait « embrassez qui vous voulez » tu te rappelles ? – il y avait aussi cette réplique « vous êtes quelqu’un dans mon genre » à Simone Renant) – une autre époque ? Il y avait un jour (une fois si tu préfères) dans un commentaire (sic)

« vivre avec son temps… on peut essayer de le traverser en ignorant, sauf pour l’indispensable, ce qu’il a de laid et de futile (le notre en avait sa part aussi) »

pour convaincre j’ai changé de police – pour continuer, j’ai changé de musique (il y avait Moondog, j’ai mis Chopin et quelque nocturne) – une autre époque ? est-ce que ça veut dire ne plus acheter de livres neufs ? il y avait parfois sur certain carton, des films inspirés d’Alexandre Dumas, c’est mon souvenir, il y avait écrit ces mots « deuxième époque » – il y avait aussi des personnages différents, il y avait des distractions moins onéreuses sans doute aussi – on fumait des Craven, on regardait passer le temps, Brel écoutait pousser ses cheveux – est-ce que ça aurait changé quelque chose que le téléphone ne soit pas branché et que je n’entende pas l’une de mes sœurs me dire « regarde » (il était trois heures et quelque de l’après-midi, je revenais avec les filles du conservatoire) «  il y a des avions qui se jettent sur les tours… » – j’ai peur que non – ça aurait changé quelque chose que dans la gare de Bologne, c’était un samedi matin et le monde du nord du pays s’en allait en vacances, un peu avant dix heures et demi, un deux août – non, je crois non, rien – que sous les tables des cafés, à Alger, les bombes se déclenchent, que des ponts de Paris on jette dans la Seine des Algériens, c’était un mardi, un dix-sept octobre, j’ai peur que non – je suis revenu ici, j’ai mis sur mes oreilles mon casque, j’ai écouté de la musique – vivre avec son temps, oui, voilà c’est ça – tu vois, ce n’est pas tellement que les outils changent, ce n’est pas non plus qu’il en soit autrement des hommes et de leurs guerres, et de leurs perversions, de leurs armes qu’elles soient blanches ou pires, non, ce n’est pas tellement ça qui me préoccupe, mais simplement essayer de garder les yeux assez ouverts pour me rendre compte et parvenir à me savoir vivant – voilà six épisodes que ces outils, leurs histoires, leurs fonctions, leurs usages et leurs utilités sont mis.es sous la loupe de notre mémoire et de ses réminiscences forcément viciées passées gommées, nous avons des choses à faire, et à dire et à partager – je veux bien tenter de croire qu’on peut améliorer la fluidité des relations, ou que les visages (reconnus par ci par là par l’autorité – tu sais, celle qui autorise) nous disent quelque chose, je sais bien que hors de notre propre conscience, point de salut – je veux bien aussi tenter d’imaginer que sans les autres la vie serait possible, ou utile, ou importante, mais si nous restons seulement environnés de quelques écrans stupides, de quelques machines intelligentes, ou pas ou peu, j’ai bien l’impression qu’il n’en serait de rien

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