Pendant le weekend

Chang-Dong

C’est une femme assez âgée pour avoir un petit fils d’une quinzaine d’années : celui-ci la traite comme une esclave, ce qu’il semble que la société (cette société-là ?) veuille faire de ses femmes. La mère du jeune Wook est partie dans une autre ville après le divorce d’avec le père de ce garçon.

Elle lui donne à manger, elle aime le regarder manger; lui, il mange, regarde la télé, joue à des jeux vidéos, mange des chips en enlevant ses chaussettes, rit niaisement : dans ce portrait du jeune homme en maître de maison passe la perversion et l’abject. On a, pourtant dans cette vision de la jeunesse dont les passe-temps ne trouvent aucune grâce aux yeux des auteurs, quand ils ne sont pas libidineux et ignobles, on a pourtant le sentiment que la charge est redoublée contre la jeunesse mâle…

C’est une femme coréenne et pauvre qui aurait dû devenir poète. Non, elle sera ici servante d’un vieil homme, ex-président donc probablement assez riche, qui ne peut plus ni bouger ni se changer ni se laver seul. Elle s’en occupe, la brue du président sourit en donnant les clés de l’appartement, tout en servant à l’épicerie qu’elle tient. Aussi bien dans le film, le vieux poisseux voudra à nouveau jouir une dernière fois, jouir d’une femme, viagra aidant. Turpitudes de la vieillesse, domination encore de l’homme sur la femme, du président sur la bonne, du riche sur la pauvre… 

C’est une femme d’une soixantaine d’années qui aime la poésie, et qui un jour voit l’annonce d’un cours de cet art donné dans la maison de la culture de la ville où elle vit avec son petit fils. Elle se glissera dans la salle, apprendra certains rudiments, sans doute, puis rêveuse, écrira dans un petit carnet quelques bribes de poèmes. C’est, avec les habits élégants dont elle est vêtue, tout l’enchantement du film.

La part réelle c’est que le petit fils, Mook, s’est rendu coupable de viol répété sur une jeune fille de sa classe, avec cinq de ses congénères. La réalité, ce sera que cette jeune fille, Agnès se tuera en se jettant d’un pont : c’est ainsi que le film commence. On ne sait rien, seul un corps dérive vers nous.

Cette dame âgée, Mija, qui souffre et qui oublie petit à petit un peu tout, est atteinte de cette maladie dite d’Alzheimer qui s’empare de la mémoire pour qu’elle n’existe plus.La part réelle de cette histoire, c’est que les parents des six violeurs s’entendent pour dédommager la mère de la jeune Agnès, avec de l’argent, c’est simple comme tout.

Mija (Yoon Jeong-hee) et l’un  des parents (ils sont 5 hommes)

Comme si ce dommage pouvait se réparer d’argent : c’est cette naïveté-là qui nous étreint. C’est parce que le jeune Wook ne sait rien d’autre que demander un nouveau portable à sa grand-mère qu’il représente rien moins que ce que nous avons fait de nos enfants. Dans quel monde vivent-ils donc, ces enfants, pour imaginer qu’il suffira de se cacher sous une couette et de ne rien dire pour que leur conduite sordide et ordurière soit rachetée par une somme d’argent ? 

La poésie, oui, mais rendue salace, pornographique par  l’un des participants, commissaire de police, pourra sans doute, c’est la thèse du film, sauver encore ce qui peut l’être : ce participant viendra un soir arrêter le jeune Wook.

On présume qu’il en sera de même des autres, mais cela rendra-t-il à la vie la jeune Agnès ?

Sur un long travelling avant, tandis qu’on entend dire en voix off la poésie écrite par Mija, elle qui a laissé au professeur de poésie un bouquet de fleurs blanches pour excuser son absence, on reverra la jeune Agnès, bien vivante, qui se retournera pour nous regarder en face, nous souriant depuis l’au-delà du cinéma, tandis que Mija, elle, pour expier, pour se soustraire à la maladie, se sera jetée du pont pour qu’enfin le monde soit attentif au sort réservée aux femmes, là-bas mais comme ici.

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