Pendant le weekend

Vases Communicants #25 mai 12

« Pendant le week-end » a le plaisir (toujours renouvelé) d’accueillir Anne Savelli pour ces Vases Communicants de mai, tandis qu’elle accueille sur son blog Fenêtres Open Space Piero Cohen-Hadria. Deux textes sans contrainte sinon de territoire.

 

 

 

 

Ailleurs ici


Oh, pourquoi écrire encore sur ce quartier, moi qui voulais tant voyager, l’ai si peu fait – et dis-moi, les raisons ne sont pas qu’économiques.

Pourquoi ne jamais réussir à s’organiser pour partir ?

Dire : il y aura toujours un regard neuf, on peut y revenir, à Colonel Fabien, à Jaurès, à Stalingrad, aux Buttes Chaumont, à la rue Manin, à la rue de Meaux, au marché Secrétan, à Belleville, à Atlas, à Jourdain

à Lille

à Béthune

stop.

Il y a toutes ces villes que je ne connais pas.

Dire : moi ce que je voulais, ce que je veux toujours c’est le voyage lié à l’écriture, sans même le savoir, en métro, en tramway, en bus, en train, en car, en camion, en avion, en navette fluviale

(hier, justement, découvert le canal Saint-Denis)

(de l’herbe vert fluo, des duvets sous les ponts, pluie drue)

 

Dire : de ce quartier j’en ai marre, dix ans que je vis ici, un record, je veux du jamais vu, même à dix ou cent mètres. Savoir comment ailleurs les trottoirs penchent et les hommes regardent. Comment naissent leurs ombres. Que le piétinement cesse, que le vent s’engouffre, que le circuit s’étende, que le déplacement me renouvelle.

Je ne sais plus ce que je veux, à force. Des sensations, y en aurait-il d’autres, vraiment ? Qu’est-ce que l’exploration et de quoi dépend-elle ? Des lieux, de soi, de ce qui nous manque ?

(des autres, tu me diras)

Il y a ces points de repères imaginaires, ce sont eux le quartier : l’homme d’Irlande près du marchand de bonbons, les immeubles A et B à Colonel Fabien (ici le travail tue, affiche le A depuis plusieurs semaines), la courbe de Jaurès dont parle Violette Leduc, les travaux de Stalingrad que tu décris de temps à autres ici, que nous partageons avec Pierre Ménard.

Le café Le Virage devant lequel j’ai inventé tant d’accidents.

Il y a ces points réels : les prostituées chinoises boulevard de la Villette de plus en plus nombreuses – dix ans plus tôt, n’existaient pas. Les voisins nouveaux de l’immeuble, qui ont tous les moyens de payer les nouveaux loyers, et pourtant fuient, permutent – c’est que vivre en face d’une cité dont les nuits restent courtes quelle que soit la saison, quand on peut éviter, qui hésite, personne.

 

Réalité de quoi, ici ? Vitrines des librairies, éclairages nocturnes, fin des sacs plastique au Monoprix d’en bas ? Buttes Chaumont engorgées, cafés dont le décor devient plus élégant mais que les gens désertent ?

L’homme petit et maigre en costume d’apparat (militaire, marin ?) qui depuis des années arpente l’avenue, fermé, roide, impassible, comme s’il nous passait en revue. L’homme en savates, cigarette sur l’oreille, qui demande un centime et nous voue aux flammes de l’enfer. La femme qui… (non, je ne peux rien dire).

Brassages, étrangetés, ainsi donc ce que j’aime.


Réalité de quoi, quand on tourne et retourne dans le même quartier ?

Mort d’un enfant, il y a deux ans maintenant, dont je me souviens sans rien dire quand je monte les escaliers.

Et ce que je voudrais, c’est ne pas terminer ainsi.

 

Revoilà mon arbre favori, que la pluie chasse, fait peler. Il faut se figurer ce qui se trouve en face. Oh, puis, je le montre :

 

ciel au-delà si tu veux je t’attends

aucune métaphore ici ne s’élabore

c’est l’espace que j’appelle

pas davantage

suffit

 

 

 

 

Texte et photos : Anne Savelli.

Les autres Vases communiquent ici. Un grand merci à Brigitte Célérier pour tout ce qu’elle fait pour ces échanges

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