Pendant le weekend

Carnet de voyage(s) #23

Il y a quelques années, je partais avec mon cousin P. pour la même destination, nous avions réservé des chambres, nous nous attendions à de la chaleur, j’étais missionné par ma mère, aller revoir ce pays, aller revoir Sidi Bou Saïd, la baie de Carthage, les rues défoncées de Tunis, et en arrivant, j’avais pris cette photo

Elle fait à présent fond d’écran du petit rouge. Ce n’est pas là que j’ai connu ce pays, mais à Nice Côte d’Azur, où je me suis perdu, égaré plutôt, ma mère en conçut une peur si bleue qu’elle ne m’en punit même pas, elle avait là, avec elle, ses quatre enfants, sa cousine et la fille de celle-ci qui était aussi sa nièce, et ce jour de juillet soixante, elle s’en allait (plus ou moins) définitivement du pays où elle était née, trente trois ans auparavant. La valise ou le cercueil, et la valise toujours prête, et le monde nous appartient. A l’arrivée, Orly et la quatre cent trois bleu nuit et mon père au volant. Leurs sourires. C’est un départ, à nouveau, qui forme ces carnets. L’année dernière,  on m’avait volé mes papiers : cette année, tout le monde me demandait des nouvelles de mon passeport, attention, tes papiers, tu les as ? ils sont là, oui, et passée la douane

nous regagnerons nos places, nous partirons à six, cette fois, il y aura dans le petit ramequin de ferraille molle quelques pommes de terre, du poulet en sauce et du riz petits pois, l’hôtesse de l’air voudra qu’on lui donne du « madame » et non du « mademoiselle », les nuages fileront au ciel loin comme les Alpes, la Sardaigne, l’avion à la gazelle attendrait

une type courrait sur le tarmac, il porterait un gilet rouge

on attendrait aussi, on allait y aller, puis la voiture, l’aéroport, la chaleur qui nous tombe dessus, non, rien n’a changé, je ne connais plus rien, mais rien n’a changé, non, on passe au droit de l’avenue Habib Bourguiba sur l’autoroute, au loin le mont Boukornine, au loin mes oncles, mes tantes, mes parents, plus personne ici, un ami que je n’arriverais pas à voir mais je n’en sais rien, on tourne, on avance, on prend de l’essence, la pointe de Korba, on s’est trompé de chemin, une mosquée dont le toit est d’or et rond, des minarets qui se bâtissent, une campagne d’ocre et de bleue, on est arrivés à la nuit, peut-être je ne sais plus, de la terrasse

on apercevait une voiture garée au loin, il n’y avait dans les rues, sur les chemins, personne encore la dernière semaine du ramadan, les gens ne sortiront que vers dix heures,

une chaise abandonnée là par le petit siffleur qui veut placer les voitures, pour une pièce de cent millimes, les petits métiers, la plage est là, juste là

je prendrai du sable, pour me souvenir, la descente vers la petite plage de Neptune, les rochers, la mer chaude et turquoise, la maison aux volets bleus, les murs enduits à la chaux tous les deux ans par Philippo, le whiski partagé avec les gens de la station service BP, au loin Hammam Lif, le palais présidentiel et le lycée, les choses qu reviennent, les coqs qui hurlent quand à peine pointe le jour, les chats malingres, les scorpions et la chaleur, les ânes

courageux, aux yeux comme ornés de kôhl, derrière eux traînant une remorque pneus de caoutchouc, transport de personnes, taxi collectifs, un homme vient dormir là, et se laver dans l’eau claire et salée, on entend venant du café des échos de musique arabe, quarante à l’ombre, loin du monde, des actualités, de la révolution et de la religion, même si ces superstitions ne sont pas reléguées au rang des accessoires qui ne serviront plus, l’oeil, la main de fatma, le poisson, le rouge, mais aussi les gâteaux sucrés de miel, les poissons grillés et les frites, les salades tomates-poivrons-piments grillés et assaisonnées d’harissa, de thon et d’oeufs durs, des réminiscences d’un passé laissé derrière moi sans spécialement de regret, de nostalgie ou de déception, quelque chose comme un monde voisin, innocent peut-être, sans autre tentation que celle de l’eau, chaude, se souvenir des petits enfants qui couraient sur le chemin de poussière, de l’homme arrêté sur son vélo me voyant tenter de freiner la 4 chevaux avant qu’elle ne s’encastre dans la pile du pont du TGM, ce n’était pas au cap Bon, mais c’est sans importance, le ciel l’eau le vent tout est semblable pour toutes et tous, les femmes qui conduisent les voitures, le flegme quand derrière elles on klaxonne, on se gare n’importe où, n’importe comment, quelle importance, l’absence de feu rouge comme de priorité, une sorte de courtoisie faite de force et de tentative de domination, des melons et des pastèques à même le sol, des raisins et des tomates, le ciel bleu, et la belle vie, toute la vie, toute la vie

 

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2 Comments

    […] y avait toujours ce rêve de partir, la valise toujours prête, et la beauté immanente du geste. Le trajet vers la gare, le bouillonnement intérieur, le ballet […]

  • […] . Les pièces du dossier elles-mêmes avaient été glissées dans le sac pour le départ. On n’y avait d’ailleurs pas touché.  Mais, ce matin-là, le septième jour du mois […]