Pendant le weekend

Carnet de voyage(s) #38

C’est qu’il faut partir tôt, trop tôt. L’autoroute à cent vingt à l’heure, les camions, les autobus sans lumière, quelques voitures doublées ou qui filent, quatre et demi, un jeudi, et nous voilà en route. Un café

et la valise qu’on tire derrière soi, les bruits des roulettes, les cheveux encore un peu mouillés, les barbes rasées, les yeux rougis, le sommeil manque, l’avion n’attend pas mais nous, oui, nous l’attendons, les porteurs d’uniformes passent, hôtesses de l’air et stewards, commandants de bord et seconds, tout un monde d’affaires, des ouvriers qui jettent les poubelles, les lumières en deux langues

on est partis, bientôt l’annonce de la porte, qui fait suite aux multiples passages sous des portiques qui couinent, on ôte ceinture, chaussures, on ouvre les paquets de crème à raser, suremballages inutiles, on pose ça dans un sac en plastique transparent, on remercie, on vise les papiers, gens d’armes, pistolets au côté, tout comme sur ces papiers des gens qui ne vous sourient pas d’abord, qui vous inspectent, regards on vous scrute, on vous pèse, les habits font les moines, on ne vous questionne même pas, on inspecte (manque la photo, là) et on embarque (l’avion, comme une barque sur le fleuve, Charon et compagnie aérienne, deux cents et plus dans un fuseau, le sort vous fait vous trouver à côté de ce type qui regarde son smartphone avant le départ, qui lira ce quotidien financier ensuite

et qui, avec l’élégance du dominant qu’il croit pouvoir arborer en toute circonstances lâchera un « au milieu, ah ça non, il n’en est pas question ! » comme si sa vie en dépendait, pauvre petite chose assise là, en partance pour ses affaires, ses chiffres et ses désirs, son écharpe et ses écouteurs

pour l’anonymat, je rogne, il est six heures quarante cinq, le commandant de bord s’adresse à ses passagers en allemand (on va à Munich) (c’est une escale), au loin les avions abordent le tarmac (j’aime ce mot) (comme fakir, cornac ou Vassivières) (sait-on jamais ce que ces mots vous disent ?)

le jour va se lever, nous le sommes depuis bientôt trois heures, dehors il fera froid, d’autres viendront ici tandis que nous partirons

derrière nous les lumières de la ville petit à petit s’éteindront, le voyage ira, les hôtesses proposeront je ne sais plus quelle victuaille

probablement une sorte de croissant mou, l’écharpe à ma gauche l’engouffrera (il me fera penser à ce garçon qui devait pointer, bien que cadre supérieur, détaché comme on dit – les mots sont cruels- et qui s’acquittait de cette obligation dès son arrivée, à la pointeuse la plus proche de l’arrivée du métro, et qui gagnait ainsi quelques minutes par jour, lesquelles multipliées par le nombre de jours passés à travailler finissait pas donner une journée de congé supplémentaire), puis un café, puis voici la forêt Noire, la Bavière, atterrissage et transfert, on sort fumer, c’est le soleil, c’est le jour, l’abruti est tombé dans l’oubli, les voitures se garent, le vent se lève un peu il fait froid, on attend, on trouve une terrasse d’où admirer les envols

là, un homme debout, soixante dix ans peut-être, regarde à la jumelle les avions qui se posent, note sur un carnet, puis continue, regarde les avions, eux se posent et s’en vont, on construit une annexe qui doublera la précédente (on pense à Notre Dame des Landes)

on repasse sous ces portiques, ceintures chaussures monnaie portables et clés, on attend, on regarde, le monde avance, les papiers sont visés, les tampons cognés d’encre, en partant j’ai pris ces coordonnées (on ne sait jamais, ça peut toujours servir)

le monde bouge et nous, à attendre un peu, à embarquer, tirant valises, les mêmes indications en turc à présent, puis en anglais, des centaines de personnes, au loin le soleil brille, il est devant nous à présent, on file vers l’est, on longe le Danube (Claudio Magris, je te vois)

on l’aperçoit à peine

mais il va à la mer Noire, les milliers de milliers de parcelles

les boucles du fleuve, et quelques nuages

le ciel est toujours bleu, il suffit de suffisamment s’élever, dans le journal un article vante le Louxor et on pense à l’Egypte, le Caire et le Nil, le Raïs et Gamal Abdel Nasser il y a  ainsi des hommes et des femmes qui forment un panthéon personnel, comme cet Atatürk Mustafa Kemal, l’Asie donc de l’autre côté de la baie, là-bas, bientôt l’aéroport qui porte son nom, bientôt le métro, des arbres en fleurs

et le tramway qui conduit aux mosquées…

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1 Comment

    L’avion en tant que tel : vecteur de l’imaginaire, comme ceux que l’on lançait – en papier ! – dans les salles de classe ou à la récréation.

    On s’en fiche, des contrôles, puisqu’on n’a rien à se reprocher : c’est comme composter un ticket de métro ou son pass Navigo.

    Ce qui compte, c’est la rupture dans le temps – que tu sais montrer – et l’escale qui est au bout…