Pendant le weekend

soldat de papier

Ce n’est pas que je n’aime pas y aller à cette cinémathèque, non. Il y avait eu cette séance de « Huit et demi », je me souviens de mon genou à ce moment, il y a eu aussi cette exposition de cheveux, et la hargne qui me prend lorsque je vois le luxe du programme (la France, la patrie du cinéma, vaut bien un programme de ce calibre…).

Oui, probablement. Le confort des salles, les cinéphiles avertis du dimanche matin, l’architecture de ce haut lieu de la culture (ne pas avoir peur des mots), son emplacement dans cet est (Vostok, en russe) parisien qui revit (nous dit-on) à coups de dix mille euros le mètre carré minimum, la proximité du fleuve et de la bibliothèque, le faste et le luxe, oui, voilà.

On arguera peut-être de l’indécence de mes mots, puisque 6,5 euros pour une place de ciné, 10 euros pour entrer dans l’exposition dédiée à Stanley Kubrick -monsieur K. comme j’aime ses films– ce n’est presque rien. C’est le presque qui m’étreint.

On s’en fout.

Oui, probablement. Mais quand même. Diviser le tarif par six et demi, ainsi que la pagination (mettons) du programme et concomitamment, ne favoriserait-il pas la venue en ces lieux somptueux de personnes qui s’en sentent (et qui de fait en sont) exclues ? Le cinéma est, avant d’être intellectuel et voué à quelque philie que ce soit, un moment de partage : comme dit ma tante « plus on est de fous, plus on rit ». Mais ce monde-là n’aime pas les fous. Il préfère les exclure. Par l’argent, aussi.

Nous étions une bonne quinzaine, ce dimanche-là donc, pour venir regarder ce soldat de papier

film soviétique en ce qu’il décrit une sorte de réalité de l’union des républiques socialistes soviétiques d’alors. Nous y verrions un médecin qui, petit à petit, la maladie aidant, l’alcool ne l’en soignant guère, s’en ira insensiblement vers une disparition inéluctable (comme elle l’est pour nous tous).

Entre temps, il aura soutenu sa thèse

se sera marié et aura tenté d’avoir des enfants,

et puis sera muté à Baïkonour, son cosmodrome au loin, probablement,

mais surtout la boue, la pluie et la dérision… 

Dans quelques plans, on découvrira sa mère

et son  père, médecin lui aussi (réussi à le capter, cet homme-est-ce un homme ? la littérature, comme le cinéma, aime à représenter les morts que nous ne (re)verrons jamais)

puis il les rejoindra. 

Gagarine le premier homme de tous les temps et de tout l’univers (jusqu’à preuve du contraire), Youri, je me souviens de lui je n’avais pas dix ans, avril 61, sous les traits d’un jeune homme blond, croquant des pommes, le premier homme de tous les temps donc à être envoyé en l’air, l’espace et la Terre de là-haut (c’était donc possible ?) et retour, le tout dans une sorte de boule d’acier,  le module de descente de cette fusée Vostok  (l’est ou l’orient, en russe), après les Spoutniks (compagnon, ou camarade en russe, ou lune ou satellite…) où des hommes avaient envoyé des chiens (la chienne Leïka) autour de leur planète.

Le film montrera donc un bestiaire, chiens, cygnes, chevaux, dromadaires,

il montrera des hommes et des femmes qu’on chasse, dont on incendie les maisons qui brûlent si facilement afin de construire sur ces territoires la base, le fameux cosmodrome d’où, tout à l’heure et au loin

s’envolera le héros de l’héroïque épopée. Sur Terre, sur la Terre de l’Etat, un homme voudra vous vendre le portrait illuminé du petit père des peuples, mort voilà à peine huit ans… Sur Terre, on restera les pieds dans la boue

et la folie nous gagnant, à ce froid, cette humidité annonçant le printemps. Loin, à l’est, nulle part peut-être, la soldatesque présente et puissante, les anciens qui n’y croient plus, et cette jeunesse illuminée probablement, qui, oui, va changer le monde, oui, parce qu’elle l’aura dominé et réduit parce qu’elle s’en est éloignée, Gagarine dont les yeux représentent les étoiles, le sourire et la foi dans l’homme et ses possibilités, Youri qui reviendra, non comme ce soldat de papier qui ne s’envolera jamais brûlé qu’il fut lors des essais et erreurs…

C’était un beau film, quelques images marquantes de cet homme sur son vélo qui peu à peu perd la tête semble-t-il, à moins que ce ne soit simplement le monde qui le perde. Le monde tel qu’il est. En sortant, le soleil, les pelouses et les bancs, au loin le fleuve, en sortant, tu te souviens, « L’étoffe des héros » ? Ou « 2001, l’Odyssée de l’espace » ? En sortant, est-ce que nous nous souvenions de ces temps-là où la conquête spatiale (la conquête, le mot de l’humanité ?) nous était comme un beau rêve ?

Y voir ici l’allégorie du communisme (mais justement : d’où le film parle-t-il ?). 

L’épilogue montre les deux femmes du docteur réunies, lui le médecin a disparu lorsque Youri est revenu, dix ans plus tard il meurt, Youri, dans un accident d’avion (j’ai pensé à Mattei, qui lui aussi…), et puis j’ai oublié la fin. Deux larmes à mes yeux. 

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