Pendant le weekend

Vases Communicants #28 août 12

Pour les Vases Communicants de ce cher mois d’août, Pendant le week-end a le plaisir de recevoir LSarah Dubas tandis qu’elle reçoit sur son blog Piero Cohen-Hadria




‘VASCO DE GAMA’


Sur la carte – tout commence là – sur une carte – il faut être un peu chaman et dire les noms – que la ville vous entende – parfois on reste là assis sur la carte – et ça suffit…


Ici l’horizon s’ouvre en cercle


C’est un hôtel une place une route  au bord du Tage                             

une pensée seulement                                                                             

un espace imaginaire

c’est une fenêtre d’hôtel         peut-être

la chambre a des ailes

une femme se penche                                                                             

son regard se perd sur le fleuve


Elle dit :

le voyage me donnera tout                                                                       

suivent des dates des chiffres des signes

Elle est calme déjà minérale sûre de son désir

tout commence par un immense désir celui qui ouvre le voyage

Elle répète :

Je ne sais rien


Une femme qui charrie comme le fleuve


Elle est venue pour quelque chose – quelqu’un – c’est la plus belle façon de voyager sans doute –

Parfois elle tremble – c’est le tout début du mois de juillet 1995 – suivront d’autres dates beaucoup plus tard – elle a prit un hôtel la Pensão Londres Rua Dom Pedro v 53 en surplomb du Jardim de São Pedro de Alcántara dont le point de vue flirte avec la ville dans un baiser de carte postale – elle est venue fondre son intranquillité entre l’eau et la pierre – attrapper quelque chose de la lumière –  elle est venue manger la couleur – condenser les cellules –                                      

Il y a toujours de bonnes raisons de partir surtout celles que l’on ne connaît pas  – encore – il n’y a aucune certitude –

Le voyage est une promesse que l’on se fait à soi-même

une promesse

à la vie                                                                                                          

elle est venue apprendre à résister 

une intranquillité plus grande que la sienne ça dévore c’est cannibale

il n’y a plus de vitrine

après la disparition                                                                                      

après


je ne sais pas si j’invente la ville à chaque pas

si c’est elle qui me réinvente                                                    

l‘illusionniste marche avec moi


Dans le Chiado je me suis assise au Brasileira Rua Garrett –  j’enchaîne les cafés noirs tandis que la vie se déploie doucement dans la lumière opale du petit jour émotion de l’aube frémissements des  surfaces – je regarde ta statue assise de loin les yeux fermés dans un brouillard cette matière froide je ne veux pas la toucher –

Au fond tout au fond du bar à l’intérieur les morts défilent – traversent mon innocence – je me demande comment remplir les cases vides – doit-on inscrire des croix comme aux mots croisés mais je n’ai jamais fait de mots croisés – il y a cette chose étrange avec le voyage c’est que ce que vous percevez est toujours éclairé par les êtres chers disparus – connus ou inconnus… Pereira le journaliste ira ce soir dîner à la Casa Pessoa et il ne sera pas seul – Antonio et Fernando seront là… les personnages se croisent…le temps ne compte pas –


Mes chevilles n’en finissent pas de se tordre sur les pavés –  le corps est toujours à la fête ici – pas question de l’oublier – mes tempes cognent – flottements – résonnent des mots à tordre le cou – à jeter aux chiens – un effondrement au milieu de nulle part – je dis à l’illusionniste ‘ça va passer’- qui peut supporter la disparition – quelque chose de notre propre corps est atteint –                                                                                     


La lumière 
se déploie dans la chair saigne la matière brute du cerveau rejaillit diamants azulejos enceinte de la cité

les pieds avalent les pavés

la peau aspire les azulejos

il faut répéter le mot le répéter                                                                             

il chante dans la bouche comme une cigale                                                                              

remplit les joues

je veux cultiver le Bleu des azulejos le garder dans un seau le racler de mes ongles en gestes lents                                       

tant que je toucherais le Bleu des azulejos je resterais vivante


La manière que l’on a d’appréhender une ville est la même que celle que l’on a de s’envisager soi-même                                

tout en te regardant dans le miroir de l’hôtel le matin tu as pensé cela ou plutôt l’a dit à haute voix

quelqu’un t’écoutait


La promesse habite le temps                                                                             


Lisbonne je te renifle comme un chien je suis l’animal j’avance dans ta moiteur à quatre pattes la ville est cannibale je suis sa proie mon regard accroche un ex voto niché au croisement de deux ruelles presque invisible et soudain ma pensée glisse sur le pavé je me prends les pieds dans ce labyrinthe improbable me fracasse la mâchoire mon sang coule et ruisselle – si vite – j’aimerais te toucher te donner la main juste te donner la main – l’absence nous désarme –


Et puis un jour des  corps tranquilles arrivent comme le vent

effleurent la nonchalance se mettent à chanter – on respire mieux –


Quand elle fut sûre que l’illusionniste allait l’aider à ne pas mourir sa peau s’est teintée du bleu des azulejos bientôt elle ne serait plus ce corps sans vie  devenu malade parce qu’elle trainaît un mort derrière elle –                                                                                                      

Tout peut tanguer chavirer- une ville s’approche par le ventre pense t-elle tout en se rendant à la meilleure pâtisserie qui  fabrique les Pastéis de nata : « L’antigua Confeitaria » à Belém –  le marbre des palais est un ciel en arabesques le temps d’enfanter l’étranger je rêvais

Je garde tout des traces – le fado ce concentré de desassossego chante le passé perdu – ses sonorités bouleversent – son écho rejoint ma propre histoire – monde éteint- par force – détruit – une mémoire – il reste d’anciennes cartes pour dire à voix haute : Warsawa


A l’écart du centre ville- une minuscule fête foraine dans l’absinthe du soir – à l’abri dans la fête –


Je file à toute allure frôlant les murs – assise devant moi une jeune fille au teint pâle s’est assoupie indifférente au bruit du monde – elle sursaute soudain au klaxon strident du tram – ses yeux mi-clos se posent sur ma peau bleue – elle sourit – comme en connivence- sa peau à elle est transparente comme ses yeux – puis elle s’envole à nouveau dans une somnolence cahotique – courte échappée – je retourne vers le réel – dédale des ruelles – château Saint-Georges – fleuve – belvédères – je suis le linge blanc à cette fenêtre dans ce passage sombre et tortueux – à l’assaut de l’Alfama le 28 arrive essoufflé à Val de Graça – des femmes grillent du poisson sur des barbecues de fortune à même la rue – aboiements- rires d’enfants – parfums fleuris se mélangent aux odeurs de cuisine – à Graça je descends Feira da Ladra le Marché aux voleurs et prie pour qu’on me vole mon passé –

La veritable nature des êtres se dévoile dans le jardin

Au-dessus du fleuve la lumière retient le regard le soleil joue son rôle

à l’infini dans les faiences bleues qui illuminent ma pensée courbe –

un petit vent frais roule – la mer de paille ourle ta peau – je veux découvrir les sentiers cachés de l’œuvre – le petit peuple court glisse dans mes mains – sauvage goutte à goutte la nuit est nue – Les vagues équilibrent le désordre de la rue –  parfois un silence dans Lisbonne aux faux airs d’andalouse  tu l’honores de l’aube à l’aurore –


la nuque se brise tape tape  le long des murs murs se brise réguliere en secousses tap tap corps chancelle  nuque s’emmêle à chaque pas s’invente un destin qui déroule une autre carte


Citronniers orangers ibiscus palmiers géants…fraîcheur dans le Jardin botanique – une fleur rouge de bougainvillier rejette soudain la disparition – tente de l’effacer – la beauté bouscule et accompagne la quête – en dénivellé en souterrains et parfois visible évidente – tout à coup légère baissant la garde je sors du Jardim Botânico  en courant – la ruelle m’échappe soudain – la place vertige sous mes pieds  la chaleur

tangue l’existence même

jusqu’à la chute                                                                                                 

près de la cage aux singes endormie                                                    

s’endort dans la topographie

Baixa Alfama Chiado Bairro Alto

Praça Luis de Camões Jardim de São Pedro de Alcántara.

Loterie du jardin zoologique

jardin zoologique

zoologique

Les docas sont désertés – à la nuit tombée ils charrieront leur train de touristes et leur rêve viendra se fracasser sur les rochers de la ville peu importe il faut encore et toujours déplacer les corps contre la mélancolie déplacer les corps et s’occuper des affaires courantes je trace de l’or au sol pour que surgisse la langue des oiseaux je  bois le vin blanc sec du Douro –

La nuit étoilée près des quais ressemble à la toile de Van Gogh elle chante plus fort la beauté       une autre idée du chaos


Cette nuit j’irai Rue Atalia à la mascotte – son fadiste Carlos Martin qui ressemble à Vyssotski le poète chanteur Russe chantera pour moi – son regard ne me quittera pas – il m’emmènera manger de la seiche grillée des empadas des pastel de bacalhau au Claras em Castelo près de Sao Jorge le Château Saint Georges – nous teinterons nos lèvres dans le rubis de la Ginja – je sourirai parce que ce soir je ne veux plus rien – tout est à venir-


La ville est cannibale

 


 

©  Août 2012 LSARAH  



Les autres Vases communicants du mois d’août sont ici.

Merci pour tout à Brigitte Célérier

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4 Comments

    quel voyage !

  • Merci Danielle, j’en ai coupé un bon quart- et j’ai de quoi faire un vrai journal…..;)

  • superbe voyage, belle écriture et le plaisir de retrouver Pessoa… magnifique collage aussi… Merci

  • Merci Christine et bienvenue sur Twtt-