Pendant le weekend

Carnet de voyage(s) #21

Le type disait « oh lala, ça fait bien longtemps que je n’ai pas donné de cours, fin avril, début mai peut-être… » et je me disais à mesure qu’il parlait « la retraite la voilà bien, la retraite », comme ce mot qui me semblait tellement incongru lorsque, dans le début des années soixante quelques élèves de ma classe partaient, vers la fin de l’année, avant une communion que je ne connaissais que de nom (cadeau : une montre; ce genre de salade, un prêtre; une robe blanche, des choses différentes des bouteilles de coca cola ou des chewing-gum, des break aux bords en bois, des sacs de sable qui protégeaient l’aéroport de l’Aouina, le soleil de plomb et la plage la mer bleue toute la vie toute la vie).

On avait pris la voiture

croisé de drôles de constructions en forme de silos (traverser la Beauce, l’un des greniers de la France), la pluie allait venir, on traversait le centre, on passait.

Ce qui m’a été bizarre, c’est cette envie d’aller s’installer ailleurs, vers la soixantaine, afin de cultiver des fruits et des légumes, et de se retrouver avec des semblables qui feront la même chose. C’est probablement cette tournure de l’esprit qui était la mienne quand je l’ai entendu dire « ça fait longtemps que je n’ai pas donné de cours », je me suis dit voilà donc, la retraite…

La loire à Chinon, champ

Et c’est de mon âge aussi bien. Seulement je n’en ai aucune envie, ni même aucune idée : quelque chose qui ne veut rien dire.

La Loire à Chinon, contrechamp

Quelque chose comme ces petits camions qu’on croise, sur les routes, garés parfois

Montreuil Bellay, l’entrée du château (neuf euros)

sur des « sites remarquables », je me souviens des bords de plage, je cherche leur nom qui ne me revient pas, « camping car » voilà américain peut-être, quelque chose de la retraite heureuse, aller se faire soigner et prendre soin de soi, après les quarante et quelques années requises à s’essouffler le matin au réveil, déjeuner vite parfois puis continuer jusqu’au soir, qui rapprochera du lendemain, lequel rendra plus proche une fin de semaine nous rapprochant des vacances, lesquelles vacances seront, enfin, bien méritées et prises pour nous approcher des jours qui décroissent, des feuilles qui tombent, cadeaux de Noël et fête du blanc, une sorte de planning bien tempéré, une sorte de roue qui tourne, un temps qui passe après celui qu’on a consacré à l’école, à l’éducation, la nôtre, celle de nos enfants, puis le temps qui passe… Maroc ? Tunisie ? Changer son fusil d’épaule, aller se faire poser des dents en Roumanie , chirurgie esthétique sur les bords de la mer Noire,  temps qui passe, et fauteuil roulant, le regard qui s’échappe et s’ouate à peine, tu sais je ne me souviens plus, c’est bien le temps à présent, discerner donc ce qui, chez les gens est d’une autre facture, on est là les serveurs viennent à vous dans les restaurants gastronomiques, à Amboise ou ailleurs, les bords de la Loire, le climat tempéré, les jardins, les oiseaux qui chantent

et planent, les clochers de la France, ce pays  au mont Gerbier des Joncs, au plateau de Langres, la ligne de partage des eaux, le sud et le soleil, non, ils n’y étaient pas, mais les gens, oui…

La Loire à Bréhémont, champ

Parfois haïr ses contemporains, on regarde passer le temps, le fleuve qui s’étire, loin

La Loire à Bréhémont, contrechamp

et qui apaise encore nos blessures, nos malheurs, la perte de ceux qu’on aimait, qui s’en sont allés, non, nous ne les reverrons plus, et alors sauf peut-être en rêve (je me souviens de la malle du film d’hier soir, la rue qui porte le nom d’un magicien) les gens meurent (la malle des Indes) le ciel est devenu gris, puis

à nouveau champ

la lumière s’est montrée (c’était à Bréhémont), il y avait là un ponton nous passions, cigarette,

assiette Gargantua et rue Rabelais à tous les coins de rue, Chinon ou Blois, des photos de salons de coiffure (Invent’hair), abbaye

L’abbaye de Fontevraud, champ (entrée  neuf euros)

et jardins, ateliers d’écritures et cuisines monumentales (« ah à présent le domaine est privé » racontait la vendeuse de billets, « vous désirez une visite guidée ? » sortir le désir à tout bout de champ, c’est de la communication) et geôles, j’avoue

à nouveau, extérieur jour

n’avoir jamais lu Genet, n’avoir jamais

encore, intérieur jour

jamais voulu lire Céline, détester cependant l’après-guerre et ses tondues pourtant, longer les bords de la Loire sur cette départementale limitée à soixante dix, se retrouver

le Thouët, une rivière passe à Thouars

dans une petite ville, un peu de soleil, une terrasse, c’était à Langeais comme la duchesse, un café et reconnaître l’onctuosité frelatée de cette barmaid, les commerçants savent calculer, on vous juge sur l’aspect, un couple à « bon » pouvoir d’achat, les « mais bien sûr, monsieur » quand on demande un verre d’eau, les sourires  de commande, les « voilà » satisfaits, toute cette panoplie d’accueil et de courtoisie à vomir, un vernis qui s’écaille quand le livreur de fuel arrive, il est midi « mais putain c’est pas une heure pour livrer on le leur dit à chaque fois ! », la politesse tout à coup qui s’est fondue dans sa médiocre apparence, le vieux type qui conduit « on ne fait pas toujours ce qu’on veut » le fuel de carrefour ou quelque chose, l’engueulade, les coups d’oeil à la terrasse pour s’assurer de la complicité des clients, on se tire, on s’en va, la place, la mairie, la banque et les voitures étrangères, la propreté des rues, la joliesse des bacs à fleurs, la météo qui n’est pas au rendez-vous, on y trouverait de la grâce, de la reconnaissance, on aimerait mais non, ce ne sont pas les vacances, si peu, regarder voir, sentir le vent, les étoiles aux ciels, voir l’avenir se dérouler comme la partition d’un orgue de barbarie, quelques trous, des anches qui vibrent, le lieu du soir, le temps qui s’enfuit, qui s’envole c’est le soir, nous sommes revenus, la pluie avait recouvert la route de l’aller, le soleil était là au retour, Babylone, notre ville, la plus belle du monde, lumière du nom de celui qui inventa le cinéma, avec son frère, Lyon, les fleuves et le temps, de l’eau qui s’écoule, fraîche, qui va à l’océan et ses courants, les plages, les rires des enfants, Valparaiso ou Acapulco, le reste du monde, ce matin un mail « merci d’être venus tous », oui, nous y sommes allés, nous sommes revenus

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1 Comment

    ah Langeais et l’onctuosité vouée au couple (solitaire aussi) à bon pouvoir d’achat, et l’ennui, l’ennui