Pendant le weekend

Journal des frontières Numéro zéro

 

 

Ce type de réunion, je n’ai jamais compté (ça sert à quoi, de compter ?) mais au doigt mouillé comme pour savoir d’où vient le vent, à deux par contrat, depuis le temps que je pratique ce travail, j’ai dû assister à cette espèce de raout peut-être quatre vingts fois. Ça n’en fait pas un jeu frivole ou espiègle. Jamais.

Certes, ma casquette a changé. Mais très rarement seul, cet exercice se pratique régulièrement avec un aréopage composé de nombreuses autres personnes, qui du cru, qui du lieu, qui de la discipline. Il arrive qu’on y trouve joie de vivre (c’est arrivé), ou tout simplement plaisir à côtoyer de nouveaux contemporains. Elles ne sont, au fond, que ce qu’on parvient à en faire.

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La partie avait commencé quelques minutes avant l’heure du rendez-vous, un café jouxtant le Loing, un tenancier nous prenant en photo comme les touristes devant le Sacré-Cœur (ici, le tenancier affable)

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(qu’il soit ici remercié de son accueil jovial) puis vint l’heure, trouver le lieu, se départir de ses propres peurs (parce qu’elles sont là, et pour toutes et pour tous), essayer d’exposer clairement ce qu’on tente (car on tente), ce qu’on pourrait avoir l’honneur d’espérer ici (nulle part, ici ou ailleurs, qu’est-ce que ça peut bien changer dis moi ?), confronter les points de vue, s’amuser de nos lapsus, peut-être, s’assurer de la connivence de nos regards, et puis voilà, c’en est fini, chacun se lève, s’en sort, s’en va.

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Il est une chanson que j’aime bien, faisant « les choses vont comme elles vont, de temps en temps la terre tremble », et par exemple (c’est juste une exemple) tu vois les chansons c’est quelque chose que j’aime bien. Ce sont ces choses-là qui, dites, font savoir que la réunion réussit à permettre le dialogue.

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Parce que ce qui se joue, ce n’est rien d’autre, jamais, que ça : on peut parler, ou pas. Voilà tout.

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Les gens partaient sur ce chemin fléché. Le bitume et les petits cailloux, la signalisation horizontale, destinée aux autos,les piétons qui la foulent, les traits qui délimitent l’espace, la voie à suivre, de ce sens-ci, de ce sens-là, « circulez y’a rien à voir » .

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J’ai aimé la rambarde, cette manière de tondre l’herbe (j’ai une autre photo, faite par le robot, je la pose plus tard, on verra). On s’en allait, donc. D’autres arrivaient, au loin.

journal résident 15photo courtesy JS 

La terre est jolie : j’aime les rives lentes et droites des canaux, j’aime à voir cette eau verte, sentir ce vent tranquille dans les arbres qui font penser à la forêt que nous traversions, quelques heures auparavant, j’aime les choses qui vivent, avancent, passent et changent, la vie tout à coup peut-être quelque chose de la vérité, ou du temps qui passe seulement.

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L’irruption de quelque chose d’autre que le travail, peut-être, le tourisme, les loisirs ?

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L’embarcation nommée « Féniks », l’homme assis là, qui fume sa pipe, probablement  dans son douzième ou treizième lustre (j’approche)

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le rond rouge de la bouée comme celui des signalisations verticales, le numéro que de deux de uns, deux ronds des zéros, immatriculation, pots de fleurs et vélos (qui m’ont dit voilà une barque hollandaise – pourquoi pas ?)

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encore une auto qui s’en va, il est une heure, on irait bien manger quelque chose, on aurait aimé entendre parler, un peu peut-être, de la réalité de notre travail (la réalité de notre travail, tu sais ce que c’est, c’est du passé, ce n’est que du passé et du passé, qu’en aurait-on à faire ? Le temps, qui se compte en chiffres, qui se compte, le temps, oui, le temps nous manque car nous avons des choses à compter, des comptes à évaluer, à comparer, et à mettre en relation en concurrence s’il se pouvait ce serait bien, alors, mais non, ah non ? tant pis)

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le temps passe sur l’eau, la chanson dit « le temps passe si vite, le soir cachera bien, nos cœurs ces deux voleurs, qui gardent leur bonheur » (c’est une chanson triste, tu sais…), inutile d’en faire une affaire, le type à la barre montrera là-bas

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(attends je m’approche :

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c’est pour que tu le voies mieux, tu sais, ces affaires-là, ce n’est qu’une histoire de partage, alors puisqu’on vit sur le même monde, pas vrai, inutile d’en faire toute une histoire, alors tu sais quoi ? je préfère me taire) et puis on parlera de choses, d’autres, puis on s’en ira, on passera le pont, dans une brasserie, on déjeunera ensemble

brasserie loing

c’est l’essentiel on le sait bien, sous le pont le cours d’eau s’en ira au fleuve, on reprendra la voiture, on y reviendra, l’inauguration de la passerelle, les choses vont comme elles vont, le reste viendra à son heure. 

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3 Comments

    Et quel bien ça fait de revivre tout ça ainsi, ici, ailleurs, autrement, par ton regard et par tes mots, et par ce vert, cette eau, cet homme à la péniche, son mouvement… Tout ce qu’il y a à la vitre : nous nous sommes échappés.

  • Les gens partaient sur ce chemin fléché. Le bitume et les petits cailloux, la signalisation horizontale, destinée aux autos,les piétons qui la foulent, les traits qui délimitent l’espace, la voie à suivre, de ce sens-ci, de ce sens-là, « circulez y’a rien à voir » .

    C’est important le lieu où se trace un poème
    Face à une fenêtre
    Face aux pierres de taille
    Face à une mappemonde
    C’est important le lieu où se trace un poème
    ça délimite
    Stephane Bataillon – Les Terres rares – Edition Bruno Doucey

  • canux, péniches, hollandais, tout ça me parle, une question de longueur d’ondes sans doute…