Pendant le weekend

Dernière

A partir de la place, prenez le boulevard qui monte vers la colline, mais obliquez avant le pont bleu.

Il fait beau, autant se promener, le lieu est au calme, les arbres comme au ciel vous font une marquise

il sera cinq heures bientôt, on entendrait un requiem s’il était à l’automne, mais non, c’est l’été, l’après-midi, de retour de sa terre natale, c’est l’été et les peaux ont bronzé, les muscles se sont tendus par la nage dans l’eau émeraude, au loin turquoise, cette eau qu’elle nous intimait d’aller encore une fois, et encore revoir, parce que nous n’aurions que des regrets bientôt d’elle, cette eau, bientôt ce pays resterait au sud, nous serions embarqué dans une voiture de ce modèle (la noire et la blanche ici, mais elle était bleu nuit)

alors on remonte l’allée, on se souvient des tréteaux qui soutenaient le corps de son mari

juillet soixante douze, le mouchoir qu’on vous tendît alors, on l’ignora, les lunettes de soleil de son frère L. qui lui mangeaient le visage et les larmes, le passage dans ce café du bois de Boulogne, du cognac pour évincer les goules et les trolls, cette superstition, les poissons et l’oeil, le rouge et le cinq, on s’en amuse, à la terrasse du Wepler, nous y étions hier, nous en parlions, nous étions là, et vivants, et comment vont les enfants, cette femme (une de mes voisines de la Creuse, ou de la Corrèze ou de je ne sais plus) qu’aujourd’hui je croise dans la rue (c’est que j’aime à me promener dans la rue), qui me dit « oh mais oui, une grande maison comme celle-là, que voulez vous que j’en fasse ? Je l’ai donnée à mon fils… », pour qui d’autres continuerions-nous sinon pour nos enfants, je me le demande, je lui pose la question, je lui dis « mais si nous l’avions aidée, à l’époque tu sais, peut-être… » et nous regardons la place, cette place et ce boulevard qui monte la colline, prenez à droite puis dans l’avenue qui porte le deuxième ou le troisième prénom d’une de nos soeurs (quel destin), entrer, passer sous le pont, la petite placette, à droite, puis à gauche et remontant l’allée, sous l’auvent fait des arbres encore verts, oui, parce que voilà quatre ans, il était peut-être trois heures du matin, et elle s’en est allée, alors continuer et aller, un peu plus loin, sur la gauche, au milieu d’un fatras

mais les choses sont rangées, apparemment dans un ordre connu de l’ordinateur des lieux, on lève les yeux, au loin le soleil est le même que celui qui se levait sur la plage de Hammam Gezez, nous sommes jeudi, il fait beau, il fait un temps splendide, on regarde cette rose posée là

on envoie un petit mot, ou plutôt quatre : « les 2 roses blanches », impossible de savoir en quoi, pourquoi, dans quelles circonstances et quelles conditions, à quoi serait dû ce type de message, une sorte de félicitations, quelque chose qui indiquerait une présence, une sorte de réalité à l’ignominie, peut-être, à l’écoeurement qui vous transperce à chacune des pensées que viennent en évocant ces vies encore, reprendre le chemin, parce qu’il est un peu tard, croiser ces modèles réduits de voitures, croiser cette plaque

dans une ville tout prend sens, on sait bien, on avance, il y a là cette autre plaque qui voudrait qu’on oublie un peu, pour un temps, ces murs cette histoire, cette ville

« aux muses et à la joie », oui, voilà, marcher sous le soleil en oubliant que les portes, évidemment, sont fermées, non on ne les reverra jamais, non, ils sont partis à jamais, ne subsistent encore que quelques photographies on ne les connaît donc que de vue, marcher dans la rue de Douai, reprendre contact avec le monde et ses gens, avancer quand même parce que

la statue de la République emmaillotée pour d’iniques travaux 

les travaux ne seront jamais finis, sauf à mourir soi-même, il fait beau, au ciel brillent les étoiles, le long des murs s’étalent des dessins, les enfants veulent vivre et rire et ne se posent pas la question, ils vivent et rient, ils s’emploient à dépasser le temps (comme le temps est beau à vingt ans – quoi que puissent dire certains), le brûlent, le vivent sans se soucier du calendrier, de son passage, des rides qui se creusent au front, vingt ans, à l’âme aussi bien, oui, vingt ans  que la vie était belle en toutes circonstances… Retourner, avancer encore doucement, prendre le temps de lire et de voir que le monde meurt, oui, mais revit aussi

s’ouvrir aux couleurs, garder les yeux ouverts, appeler et embrasser les enfants et les vagues, à la mer comme aux ciels, nous éclaboussant, passeront

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