Pendant le weekend

Aki

Il n’est pas nécessaire de surjouer, un acteur se trouve devant la caméra, la lumière, le texte, l’action (surtout ne pas courir) le dialogue, les voitures. Un scénario en acier trempé et  finlandais (je ne sais pas bien si ça existe, mais n’importe : ici, oui), des acteurs sensibles mais qui n’en font pas état (on aime quand le commissaire Monet-Monet ? Monney ? commis sermonné ?- laisse tomber  avant de ne pas découvrir le jeune Idrissa derrière une porte : « Moi, personnellement, je n’aime pas les gens »).

Moi non plus.

le commissaire Monnet (Jean-Pierre Darroussin)

Personnellement.

« Le Havre » est un film de cinéma qui aime le cinéma, les décors (la 403, je l’ai manquée, la R16 blanche du commissaire aussi, le bus Saviem, le taxi Renault je ne sais plus combien, dix huit je crois, ces trucs -coupe-oeuf dur, transistors…- des années soixante et soixante dix, quand on n’avait pas dix ans) et les costumes. Le héros est un vieux type, la cinquantaine simple, qui cire les chaussures (même de certains qui vont mourir, juste après, hors champ – on le devine, on l’oublie). C’est un type qui est amoureux d’une certaine Arletty qui l’aime aussi.

Arletty (Kati Outinben)

Et bien sûr qu’on s’en fout un peu. Sauf qu’elle est malade, tout à coup, et qu’on sent qu’elle ne s’en sortira pas. Et que c’est à ce moment qu’arrive Idrissa, de son container en provenance d’Afrique… 

Seulement, ministres, conseillers du Prince et autres si prompts à foutre dehors ce qui ne correspond pas à ce qu’ils imaginent être le désir des électeurs d’un certain parti feraient mieux d’aller regarder d’un autre côté : celui de l’humanité (trop tard, ils ne connaissent pas).

En tout cas, Aki est bien un réalisateur de chez nous : la preuve, il aime

Little Bob en son blouson rouge

et fait chanter Little Bob (ah Little Bob Story, ah Mama Béa Tékielski ) (ah toute notre jeunesse…?) Le Havre, cette ville impersonnelle (il n’y a personne dans les rues…) reconstruite par Perret, cette ville bord de mer, chalutiers et ferrys, une ville ? « Memphis » dit Aki Kaurismäki… Ah le jeune Idrissa caché dans l’eau, puis dans une armoire,derrière une porte, il n’est plus dans cette fenêtre ouverte, il est ailleurs, puis dans une carriole de vendeur de légumes, un épicier, une boulangère, une barmaid

La barmaid et Marcel Marx (Elina Salo et André Wilms)

quelle différence y a-t-il entre un collabo et un résistant ?  Il n’y a rien là de tellement compliqué. Les gens sont là, ailleurs, mangent dehors, ils vivent, tandis que dans la télévision, on détruit la jungle (prononcer « djungueule » probalement pour faire américain) : on me dira peut-être que nous n’en sommes pas là (ou plus), mais si nous ne restons pas unis et conscients et vigilants…

J’ai adoré (mais manqué à la photo) le docteur Becker (interprété par un Pierre Etaix magique, tandis que sur le mur, à l’ouverture du film, une affiche du cirque Fratellini) et j’ai regardé comme un ectoplasme le collabo délateur (la délation, oui, tiens, la voilà, celle dont on veut nous faire qu’elle est une dignité… pouah!) interprété par un Antoine Doisnel âgé (« Ma mère est morte…! » vous vous souvenez  » Les quatre cents coups »), j’ai adoré que toute l’intrigue se résolve sur le départ de cette jeunesse si courageuse

Idrissa en chemin vers Londres (Blondin Miguel)

un jeune type de douze ans peut-être qui serre la main des gens qui l’aident, un jeune type qui sait ce que c’est que l’amitié. 

Un film de cinéma. On parle de « prescription », de « consommation », de « prédiction autoréalisatrice », de certains « éléments de langage » , tout ce vocabulaire contemporain avec ces airs frelatés et ces mines moisies, ces idées de « marketing » alors que derrière elles ne se tiennent, aussi répugnantes que maudites, que celles émises par les éminences dont on parle plus haut : la vraie richesse de l’humanité est là, dans la douceur de ce film, dans les regards et les fleurs,  fleurs du cerisier de la fin, dans la robe jaune à fleurs elle aussi d’Arletty vivante, dans les tableaux (magnifiques) qui ornent les murs et dans la chanson interprétée par « Roberto Piazza A.K.A Little Bob ».

Et cependant, et c’en est presque une honte, ce que montre ce film, aussi, c’est justement – et que le malheur ne s’abatte par sur nous pour ce qu’ils leur font subir en notre nom (en notre nom oui) –  que ces gens s’en vont et fuient notre sol : vous avez dit « la France, le pays inventeur droits de l’homme » ? 



En tout cas, on remercie ici le Ciné Club de Caen pour le boulot extra qu’ils y font (suivre aussi le lien sous Aki).

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2 Comments

    Qu’il me tarde de le voir ce film ! merci pour cet avant-goût – et bien ok pour l’hommage au ciné-club de Caen, moi aussi quand je veux faire un lien un peu sérieux à propos d’un film, c’est souvent sur leurs fiches que je renvoie.

  • Un des rares films « français » (à la finlandaise) du moment qui mérite un bouquet d’éloges pour sa justesse, son humanité, son engagement, son courage, son scénario, son interprétation, sa « mise en scène » ou en lieu, et la leçon de cinéma qu’il donne face aux grosses machines démagogiques du moment.

    Kaurismäki est un cinéaste sans concessions, il sait à qui parler et de quelle belle manière.