Pendant le weekend

Atelier d’écriture en ligne Pierre Ménard 4

 

 

 

C’est l’occasion qui crée la simple possibilité ou le larron (je ne suis pas animé de sentiments pervers : je tente de me conformer à la consigne) : revenant d’un déjeuner avec un ami (voilà cinquante ans que nous nous connaissons), j’avais à l’idée les trains qui vont au sud – et aussi les actions légitimes des employés de cette société inique qui veut imposer son ordure d’idéologie sans autre alternative, à vomir – c’est que passe la station de la gare de Lyon, son jaune et le bruit des pneus sur leur voies (j’avais dans la poche aussi le livre « Rome Naples Florence » dont j’avais, à l’aller, lu la description des atrocités commises à Naples vers mille sept cent quatre vingt dix huit (quelque messidor quelque chose) – au bout de la ligne qu’empruntait le Palatino qui partait à huit heures, le soir changer à Termini et emprunter un autre, le direct vers Reggio – j’étais en Italie, le métro débouche à Bastille il fait clair  au ciel.

Portrait.

Elles sont entrées station Bastille (d’où venaient-elles ?) et se sont assises juste là – dans le métro on n’entend guère les discussions. Inutile de tenter de maîtriser quelque situation que ce soit – peut-être même avais-je à la main l’enregistreur. Ce sont les bijoux, la coupe de cheveux, le col roulé haut porté sous le menton qui cache certainement un tatouage et la longueur des manches.

Saint-Paul, montent et descendent les pékins.

Pourquoi pas une fille, après tout ? La domination masculine est toujours agissante : il semble plus simple, pour un homme, surtout assis, de mon âge, de ma complexion disons tout autant, cette hexis que je ne contrôle pas tant que je le croie, plus simple de justifier (au besoin) les clichés que je ne sais pas encore que je vais prendre (mais dans l’idée, derrière soi et sa conscience, subsiste l’infraction au code de la morale – qui est, comme disait Léo « la morale des autres »). Mais sans doute aussi ces colifichets d’oreille.

Hôtel de Ville : je change ou j’attends ? La question ne se pose pas : je change. Comme d’habitude, je n’emprunte pas le couloir du changement, je sors puis je rerentre. Je ne suis pas sûr d’avoir à l’oreille ce « Barocco tropical » que j’aime et que j’entends parfois, sans un bruit alors que gronde tout autour la ville ses habitants ses machines et ses airs ses chansons ses couleurs, j’avance, elles sont devant moi, ou alors je sors.

Rue du Renard.

Les suivre, emprunter l’escalier, avancer sur la rue qui va à Beaubourg – ils passent me croisent ces mots que j’oublie – sans doute à la bibliothèque, me dis-je centré sur ma filature. Il fait beau, c’est déjà ça, il est peut-être deux heure et demi – ça se saura sur les propriétés de l’image –  deux jeunes filles, l’une brune l’autre blonde, cheveux longs ou courts, le sac croisé de l’épaule droite à la hanche gauche, basketts, où donc cela va-t-il ? Suivre. Des bruits d’une autre conversation que j’ai captée, un autre jour  » non, mais s’il a fait ça comme ça, juste parce qu’il avait envie de baiser, c’est pas grave c’est pas de l’amour »

​on se laisse à peine distancer (il y avait ce film dont je me souviens, à ce moment : ce type brun qui file aussi quelqu’une, met ses doigts dans son nez lorsqu’elle se retourne : ça va me revenir, mais ce n’est pas Errol Flynn, non, mais ça ressemble) il y a un temps pour tout, on traverse, le bruits des autos, il y a non loin la rue Saint Bon où exerçait M. – elle vient à Paris la semaine prochaine – ce ne sera pas la bibliothèque donc.

Rue de la Verrerie.

Le monde est là : le type tout à fait gauche cadre  qui semble regarder ma proie (l’objet de cet atelier – la détestation du voyeur, la haine de voler quelque chose à quelqu’un qu’on ne connaît pas, qu’on aurait pu informer : crois-tu ? le crois-tu seulement ? tu sais quoi ? Le travail, c’est aborder n’importe qui (la ou le troisième) et lui proposer quelques minutes pour un sondage : continuer.)

J’ai deux clichés préférés ici : le tout dernier et ce dernier, là, où elles marchent d’un même pas vers leur destin (inconnu, qu’importe ?), un peu pour ce dessins de Rotten ou Vicious ou on s’en fout la lettre a entourée, de l’idéologie la moins torve, mais surtout le bas et le haut à l’inverse : on voit comme cette communication a exercé son pouvoir sur la marche du magasin en clôture – les petites chaussettes noires de la brune, et les pattes d’éléphant de la blonde.

Rue de la Verrerie.

Se rapprocher, changer de trottoir : queue de cheval, imperméable dans les tons argent, passer devant avant de dispraître

Ne serait-ce la précédente, on penserait la brune seule. Non. Le dessin les yeux fermés de la brune années soixante et le signe de la paix et voilà Albertine disparue…

Réapparue. Puis elles traverseront, puis je les perdrai… J’en étais à ces considérations (le livre de Michel Erman à la Table Ronde,  la vie, d’un certain point de vue, de Marcel Proust qui voisine aujourd’hui avec celle de Miles Davis – même éditeur – dans la bibliothèque, je me retourne pour voir au loin la plupart des livres que j’ai aimés, disparus – revenir de la campagne, dans le garage subsistent des exemplaires à nettoyer, dans la chambre une pleine bibliothèque, sur le bureau, d’autres livres encore récupérés par E. quelques temps après), ces jeunes femmes pourraient aussi bien être mes filles, je ne sais pas où elles ont disparu, traverser la rue, certes, mais pour ma part, je suis allé jusqu’à cette officine nommée Carthage, puis je me suis retourné, je les avais perdues. Voilà tout, me dis-je, allons à Rambuteau emprunter la ligne qui monte à la porte des Lilas.

Retour sur mes pas, sur le même trottoir, ce magasin, là, dans la vitrine

 

 

Pour le souvenir du film : passer par M*A*S*H car on sait qu’il y joue : c’est Elliott Gould le film c’est « Le privé » (Robert Altman, 1973)

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1 Comment

    m’y suis prise à cette filature, et fais des suppositions sans doute, certainement, forcément infondées