Pendant le weekend

F(r)ictions

VASES COMMUNICANTS : « Pendant le Week-end » a le plaisir d’accueillir Michel Brosseau, de « Kill That Marquise ».  Welcome …

On nous en raconte des histoires, à longueur de journée. Et pourquoi pas ? Puisqu’on aime ! Qu’on en redemande. Pas des histoires minuscules, non… Ni même avec majuscule, d’ailleurs. Mais ça ne nous étonne même pas, nous autres. Parce qu’on le sait bien, que nous sommes des gens sans histoire. On nous l’a tellement répété. On a même drôlement bien assimilé qu’on n’avait pas à en faire, d’histoires. Non mais, manquerait plus que ça ! Alors, on a pris l’habitude de baisser la tête et d’écouter en silence. Mais on va pas se plaindre ! Puisqu’on aime ça, qu’on nous berce et nous fasse peur un peu… beaucoup… à la folie…. passionnément… Remarquez, c’est bien pratique : on dort tellement mieux après. Et puis, on sait qui craindre avec les histoires qu’on nous raconte. Oh ! Pas même besoin de le nommer, le Barbe Bleue toujours prêt à surgir, l’affreux zig sorti de la boîte à fantasmes.

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Un archétype suffit. D’ailleurs, ça tombe bien, qu’il puisse se passer de nom ! Parce qu’il n’a même pas de papiers, parfois, le salopard qui nous fout la trouille. Rien qu’un être au pluriel. Un les. Faut bien reconnaître que c’est tellement commode, la définition par l’indéterminé. Pas de papiers… Pas de nom. Ou un nom à effacer de son C.V. Leur nom est personne et ne viennent de nulle part. Des personnages secondaires, en quelque sorte. De seconde zone. Le plus souvent personnage foule : deuxième, troisième, quatrième, quinzième, vingtième génération… Génération !… Parce que le nombre… Une masse. Rien d’autre qu’une masse de sans nom. L’ont bien compris certains qui disent pour rigoler – important, un peu d’humour dans les histoires – « quand il n’y en a qu’un, ça va… C’est quand il y en a plusieurs que… » Pas de nom. Même si parfois, dans les histoires, ça fait du bien un nom qui fleure bon l’exotisme ! Comme celui du gars qu’est planqué dans des montagnes ou des déserts, on sait pas trop. De la belle aventure, tout de même ! Ce gars qui fuit, qui se cache, et que même toutes les armées du monde, elles arrivent pas à le choper. On le croit dans un coin, on est prêt à lui mettre la main dessus, et zip ! le v’là-t’y pas qui se volatilise, l’asticot. Ça mérite bien une guerre par ci, une guerre par là. Non, vraiment, du beau feuilleton, ce gars-là. Du beau, du lourd ! Rendez-vous compte : un fils de famille fortuné qui joue les pistoléros illuminés. Du Bouddha moderne, du guérilléro mystique! Tout pour lui, le gars. Jusqu’au nom d’ailleurs, exotique mais facile à prononcer. Pile poil trois syllabes, comme pour les meilleurs des pseudos. Parce que certains, c’est des noms à coucher dehors, qu’ils ont. D’ailleurs, parfois ils y couchent, et même ils y meurent. En début d’hiver, quand les premiers froids. Après, ça se tasse. On se dit que les gars ils ont pris l’habitude, que les corps ont appris à endurer. Mais, pour les premiers qu’on nous raconte, on opine en clamant que c’est bien triste quand même… Et on en a la larme à l’œil… Important aussi, le pathétique. Un ingrédient de choix pour belles histoires. Comme celles qu’on nous raconte et qu’on écoute. Et qu’on en redemande tellement qu’on aime. Celles qui font qu’on clôt nos yeux. Toutes ces histoires sans majuscules. Parce que pas pour nous, celles avec la grande hache. Non, sans doute pas à la hauteur, nous autres ! Puisque notre nom, c’est « France d’en bas ». Ou « France qui se lève tôt ». Celui-ci, c’est un peu mieux, comme surnom : puisque ça sous-entend que le monde nous appartient !… Le monde, pas les histoires. Nous, on en est les destinataires de ces fictions. Comme des lettres de licenciement, ou alors avant, pour nos grands-pères, celles du temps des mobilisations. Quand les époques de grandes secousses. Quand les crises, comme ils appellent ça. Que tout va mal et que c’est pas le moment de se raconter des histoires. Qu’il faut regarder la réalité en face et bien se coller dans le crâne que c’est à nous de payer l’addition. L’addition salée, l’addition amère. Mais c’est qu’un mauvais moment, parce que demain ça ira mieux. Ça ira même vachement mieux, c’est sûr. Parce que, pour ça aussi, on peut trouver des histoires à raconter. Des belles, même. Avec de l’idéal de justice, des tout petits qui combattent les géants. Suffit de pas grand-chose : une bon lance-pierres, et zou ! l’affaire est dans le sac… C’est bien, ça aussi, les robineries boisées. Même les robineries de bosquet ou de taillis. On se dit : c’est déjà ça ! C’est mieux que rien !… Ça nous fait chaud au cœur, comme ils disent dans les émissions, des fois. Remarquez, pour en revenir aux grandes secousses, d’un côté, elles ont du bon. Après tout, c’est les seules occasions qu’on ait trouvées de graver nos noms dans la pierre. Ou de les imprimer dans les journaux. Bien sûr, c’est qu’un tour de manège en première page et on oublie ! Mais c’est déjà ça, en guise de reconnaissance écrite. Mieux que simplement un tour par la page avis d’obsèques. Parce que côté bouquins, c’est pas vraiment le top. Romans populaires, qu’ils ont appelé ça, quand on parlait de nous, au début. De la sous-littérature, du genre mineur. Pas pour nous, l’élévation, pas pour nous !… D’ailleurs, même l’ascenseur, il paraît qu’il est tombé en panne… Non, nous autres, quand on a apparu dans les histoires, c’était pour de l’abracadabrant découpé en tranches. Du feuilleton invraisemblable. Tellement invraisemblable qu’à lire des trucs pareils, on finirait par douter que le monde soit vrai. Parce que ça part dans tous les sens, ces histoires-là. Pas autant formatées que celles d’aujourd’hui, c’est moi qui vous le dis. Tiendraient pas dans le carcan du 20 heures, leurs feuilletons. Et puis, rocambolesques, faut voir comme ! Remarquez, ça serait peut-être pas mal, de se demander de temps en temps où qu’elle est la plus délirante la fiction : chez Radcliffe, chez Eugène Sue, chez Dumas et compagnie, ou dans celles qu’on nous raconte aujourd’hui en fait d’histoires ? C’est à voir. Ou c’est tout vu.

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Seulement, nous, pourquoi qu’on dirait quelque chose ? Parce que, comme je vous disais au début, nous autres, on a appris à jamais en faire d’histoires. Et puis, c’est bien connu, la masse, son truc à elle, c’est d’être silencieuse. Ou alors, elle gronde. Et quand elle gronde, elle gronde fort. Ça explose !… Mais c’est pas souvent. Même si, l’Eugène Sue que je vous disais tout à l’heure, il aimait ça, lui, qu’on fasse des histoires. À se demander même s’il écrivait pas des histoires pour qu’on en fasse !… Parce que, quand on voit ce qu’il écrit au fronton de ses Mystères du peuple… En même temps, j’hésite. Là, maintenant que je suis prêt à la recopier… Je me demande… On a le droit encore aujourd’hui d’écrire des trucs pareils ? Parce qu’il y en a qui se sont attirés les foudres, et pas qu’un peu, avec des mots comme ça ! Et y a pas si longtemps que ça, même ! Mais après tout, c’est rien d’autre qu’une citation. Et puis, même pas de littérature, non. Rien qu’une citation de roman populaire. De roman d’en bas, quoi : « Il n’est pas une réforme religieuse, politique ou sociale que nos pères n’aient été forcés de conquérir de siècle en siècle au prix de leur sang, par l’INSURRECTION. » Pour terminer, une petite précision qui en vaut la peine : c’est Eugène Sue qui les a mises, les majuscules. Nous autres, jamais on se serait permis ! Parce que bon, faire des histoires, hein !…

Les Vases Communicants de février 2010 (merci à B. Celerier)

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3 Comments

    […] PCH, avec qui nous avons aujourd’hui pratiqué les vases communicants […]

  • reste à on à devenir je pour ne pas être ils – sérieusement beau texte

  • je crois qu’il y a aussi les chansons « engagées » qui nous emportent là o`ù nous devrions aller plus vite (par exemple celles que je suis allé écouter de Gianmaria Testa : une vraie merveille…)