Pendant le weekend

Jouer au con

cartepostale

Oui, je suis revenu chez le vieux. Non, je n’ai pas réussi à quitter la Francilienne et je suis furieux. Hier je suis sorti pour flâner dans les rues désertes de cette ville de merde. Je voulais croiser quelqu’un. Je voulais rencontrer quelqu’un. Je voulais lui foutre sur la gueule. Je ne savais pas à qui adresser ma colère. Le premier crétin rencontré aurait fait l’affaire. Il était 11h du matin. Pas un rat aux alentours et une envie croissante d’en découdre avec quelqu’un. Une mère au foyer sortait sa Velsatis beigasse de son garage. Je l’ai regardé faire, mais j’ai estimé que l’opération prenait trop de temps. Bien entendu, ma rage n’a fait qu’amplifier. Bien entendu, je ne pouvais pas m’en prendre physiquement à elle. Alors je suis juste allé la voir : « T’as vraiment rien d’autre à foutre, toi, hein? Tu vas mettre combien de temps à sortir ta chiotte? ». Indignée, mais loin d’être effrayée, elle est sortie de sa voiture pour refermer son portail. «Non mais ça va pas de gueuler comme ça. Qu’est-ce que ça peut vous faire le temps que je passe à sortir ma voiture? Ça vous ferait plaisir que je la raye, hein? C’est ça? ». Je ne pensais pas qu’elle oserait me répondre. Je me suis vexé. J’avais envie de lui dire que de toutes façons son connard de mari parti bosser pour que bobonne puisse glander dans le jardin, alignerait la caillasse pour lui en racheter une autre de bagnole. Une plus grosse, plus brillante. Et qu’elle n’avait pas à s’inquiéter pour sa brioche, la grosse vache, elle n’était pas prête d’aller faire les courses à pied. Je me suis ravisé. J’ai juste laissé trainer un « ouais, c’est ça » minable et pathétique. Et redoublant de haine, j’ai poursuivi mon chemin, plus à cran que jamais.

Une ruelle plus loin, un type en peignoir vert bouteille, sifflotant les quelques notes qu’il connaissait d’une vieille chanson de Joe Dassin, sortait de chez lui pour prendre le courrier. « L’Amérique, l’Amérique, je veux l’avoir, et je l’aurai … ». Sa boîte aux lettres était customisée. Son corps carré était celui d’une grenouille dont la gueule servait d’ouverture pour glisser le courrier, les pattes de devant se levant pour indiquer la présence de lettres. Je suis resté immobile devant cette scène ridicule. Je voulais préparer mon agression. Je voulais que ce type souffre d’avoir imaginé une telle connerie, je voulais lui faire bouffer sa grenouille. Les poings serrés, je le regardais baisser les pattes avant du batracien métallique, savourant l’efficacité de son invention. Son visage s’est assombri lorsqu’il découvrit la dizaine de factures englouties par la bête immonde. « Bien fait, me suis-je dit. Qu’il croule sous les dettes ce connard, qu’on lui saisisse sa baraque, qu’on le jette à la rue et qu’on lui balance sa grenouille à la benne ». C’était lui le pauvre type qui devait s’en prendre plein la tronche. C’est sûr, c’est injuste … Tant pis. « Vous cherchez quelque chose? » Me demanda-t-il tout en maintenant le regard sur ses lettres. « Mais de quoi je me mêle, pensais-je. Oui je cherche quelque chose : toi. Je cherche aussi à t’allumer, tu veux toujours savoir ce que je cherche? Je cherche les cross, les emmerdes. Tu veux en être? Je vais te mettre la tronche dans la boîte et remuer les papattes. Ça te va? « Non non. Merci. Je regardais juste votre boîte aux lettres ». Merde! Qu’est-ce que je raconte comme connerie moi. Je ne suis pas là pour faire un tour de jardin, je suis venu te bastonner. Encore un mot et cette fois, je te saute à la gorge. « Ah ça! Vous ne la trouverez pas chez Leroy Merlin celle-ci. C’est moi qui l’ai fabriquée », me dit-il tout en s’éloignant. Ouais, c’est ça, tu fais bien de rentrer. T’étais quand même à deux doigts de finir en ambulance, Ducon. La prochaine fois qu’on m’adresse la parole, je coupe court à toute forme de conversation et c’est la grande distribution de coups de latte dans le bide, me dis-je.

« Sachez, Monsieur, que vous ne trouverez semblable objet dans nos contrées, mais que si vous souhaitez en voir d’avantage, il faudra vous rendre en la ville de Passigny la Forêt, me dit la voix d’un homme, juste derrière moi. Car c’est de là que provient cet ouvrage et non des mains de ce fabulateur. Apprenez Monsieur, que cette ville est des plus pittoresques. Les maisons y sont autant de chefs-d’œuvre façonnés par de véritables artistes dans les plus pures règles d’un art vernaculaire. Tenez, regardez ce qu’à l’instant je reçois par courrier postal et qu’un ami de Passigny tient à me faire partager. N’est-ce pas plaisant? Peut-être vous faut-il aussi savoir qu’une fois rendu sur place, il vous sera aisé de trouver en la commune, nombre d’issues que je vous recommande comme autant de précieux trésors. Je peux vous y mener si ma compagnie vous semble aimable » conclut-il en me donnant sa carte de visite.

Adrien Villeneuve

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