Pendant le weekend

Atelier Hiver 18_19. 4

il y a 1727 mots – ensuite il y a un cahier de 7 images

 

 

 

Juste avant le marchand de journaux se trouve une épicerie assez luxueuse où, les avants Noël ou jour de l’an, on préparera des plats cuisinés d’assez haute tenue gastronomique (économiquement difficiles à suivre quand même), c’est une espèce de faux port de pêche (on trouve des moules, des bulots, on y importe des huîtres et du vin blanc, et avec du pain frais et du beurre on ne peut rien demander de plus à la vie en ces moments sinon la compagnie d’ami.e.s et la joie de vivre) et si on continue la route qui va vers la mer, on aboutit à une place (sans doute dédiée à un général, on sait comment sont les noms de rues ou de lieux), on gare l’auto au milieu en épi, et devant soi, la mer. Étendu jusqu’à l’horizon s’il fait beau, son bleu. Deux cafés se trouvent ici affrontés – les clientèles peut-être tout autant probablement – et au dessus de l’un, un hôtel (de la mer, de la baie, des flots bleus – quelque chose) qui a disparu depuis. Le rez-de-chaussée devient un premier étage à mesure que la rue descend vers la mer, on a construit une espèce de terrasse abritée du vent, plus ou moins, on a posé des tables et des chaises et des parasols, on a rendu le lieu à la civilisation – on trouve sur les murs de l’établissement des images datant des années trente (bientôt, ça ne voudra plus rien dire) ou cinquante – c’est un lieu de villégiature et hors les fêtes et les vacances, on peut n’y croiser aucun chat – l’hiver, il fait froid : si on regarde face à soi, appuyé sur le garde-fou qui borde ce qu’on appelle la promenade on voit apparaître par temps clair les reliefs d’une île tout au bout de la perspective à main droite – l’été il fait doux, la mer au loin se retire, on pose ses affaires, on se découvre un peu, on prend le soleil, les enfants jouent, le vent souffle sur le sable, on pourrait décrire longuement le lieu qui est joli au couchant aussi, au loin, jamais de rayon vert mais peu importe, lorsque la marée apporte les vagues et l’écume, s’il y a du vent, on la voit enfin qui bat et le coeur vous chauffe un peu plus – on aime y venir de temps à autre, ce n’est pas un endroit où on désirerait mourir, on y passe et on s’en va et derrière soi le plus souvent la mer déjà se retire

il faudrait y retourner et sentir l’odeur de l’iode et des embruns, le vent qui vous embrasse, le froid qui prend dans les habits, il faudrait y aller hors saison fatalement, un moment de calme à marée haute et imaginer ce que c’est dans les mois d’été, imaginer les enfants qui courent, la population aisée droite dans ses tongues – un jour il y avait là, du côté du marchand de journaux, qui descendait de son automobile – une berline française marron glacé intérieur cuir haut de gamme – fatalement – un ancien premier ministre, à moitié chauve, on apprend qu’il jette aux orties sa défroque aujourd’hui après avoir été écarté par son concurrent vêtu de costumes offerts par un levantin quelconque – la vie est belle et c’est tant mieux – c’était l’été on allait chez l’épicier se fournir en vin – hors de prix – lui à côté allait acheter le journal probablement – il faudrait ne plus boire, il faudrait laisser cette bouteille ouverte et inentamée, il faudrait faire attention à ne pas trop se sâouler – surtout de mots – il y a d’innombrables images photographiques qui traînent on peut les regarder, en faire un billet de blog, on peut s’en emparer mais l’enquête alors s’allongerait, prendrait des proportions inutilement étendues, il vaut mieux garder ses souvenirs et sur le balcon, regarder la mer qui se retire, ne reste jamais, s’éloigne au loin, laissant derrière elle quelques flaques, des bâches on disait encore dans le temps et ailleurs, au bord de la mer du Nord, le froid, le vent le sable – les images ferment l’esprit et l’imagination bizarrement – on attend de voir ce qui se passera, sans allumer de cigarette – on ne fume plus – les mains dans les poches du peignoir – juste à côté de l’hôtel, on se trouve dans l’immeuble de rapport, locations à la semaine ou au mois conditions générales commerciales deux pièces ou studio avec balcon ou sans sur l’arrière – l’hôtel n’existe plus, il a gardé son nom, c’est son nom qui importe, mais il n’existe plus seul reste un bar dont la baie vitrée, dans la salle qui donne sur la promenade

la descente vers la plage peut s’effectuer par un plan incliné qu’empruntent les tracteurs suivis d’une remorque dans laquelle repose l’embarcation – ce peuvent être des pêcheurs dont c’est le métier ou seulement la joie, ou des baigneurs, des vieillards souvent, accompagnés d’enfants, les parents restent ailleurs faire les courses les repas lire se reposer à l’ombre des grands pins ou dans la véranda à l’abri du vent – dans quelques années ils seront chez eux, ils changeront un peu ici ou là ou tout mais pour le moment c’est l’été ce sont les vacances et on se repose de l’année passée à bosser comme des ânes, le joug de la subordination, la fiche de paye, les avantages sociaux et les possibilités offertes par le comité d’entreprise – {« corporate »} essentiellement, il ne s’agit pas de classes mais de la réalité, des maisons des berlines des bateaux – il fait chaud en été mais on ne vient pas en hiver, c’est au printemps, vers Pâques sans doute, qu’on ouvre, ré-ouvre, aère et nettoie – peut-être le laisse-t-on cette tache à d’autres que soi, on reviendra un peu plus tard, en mai, donner un coup de peinture à la barrière, peut-être, il fait doux en été – qui sont ces gens ? – les enfants courent et jouent – on les emmène à la plage, on prend par l’intérieur pour aboutir à la place du Général juste là, tout à côté et l’hôtel qui n’en est plus un garde encore son nom, Neptune, et évidemment le harpon, ce sigle d’automobile – parfois, des jeunes gens descendent de leur décapotable bronzés et avenants lunettes de soleil et bermudas et s’installent pour déguster quelque boisson à la mode rougies orangées qu’on dit spécialité de la sérénissime – ce genre de référence aide à la sensation de bonheur qu’on éprouve, il y a bien ici aussi quelque valetaille mais enfin, on est on reste entre soi – il n’y faut pas venir en été, en réalité, non – et ce nom de l’hôtel est semblable à celui de la plage, loin, de l’autre côté de la mer mais pas celle-ci, de l’autre côté loin, si loin vers le sud, il y avait une barrière de rocher à quelques mètres – ça n’existe plus, ça a été détruit par le potentat de l’époque – il cachait dans les murs (faux) de sa résidence des tas et des tas de billets de banque – il a été recueilli et coule sa vieillesse décrépie quelque part entre un golfe et une baie – interdiction était faite de dépasser ces rochers : derrière, sans doute, quelque requin barracuda ou murène – en vrai rien qu’une petite déclivité – on n’avait plus pied mais adulte l’eau n’arriverait que sous les bras – on accédait à la plage par un petit escalier creusé à même le talus, on criait, on avait connu la nage avant même la marche on pataugeait – les derniers jours de juin, le mal de vivre, les derniers mois dans une autre maison – le soleil la mer bleue toute la vie toute la vie

tu sais quoi, c’est trop long, moi même j’en ai ma claque, je ne perds pas de vue le type, là, mais c’est une illusion, juste, à peine une sensation, le type est là il y a aussi l’image – il y a toutes les images que j’ai découvertes – j’ai malheureusement mis Miles Davis mais je viens de changer – elle va chanter, c’est un concert d’il y a quinze ans, en avril, aussi bien elle aurait pu se produire au Zénith car c’est là où elle vit – c’est au Rex – le nom d’un chien, il me semble – ses pieds nus ses bijoux en or et son sourire – tout à l’heure une clope – il faut mettre de la musique (je me souviens de Moondog) – c’est dimanche, c’est trop long, tant pis : mais qu’est-ce que c’est ? on va à l’aveugle (ce roman de Magris) on avance sans savoir, on ne sait pas, ça n’a pas de sens – il y a sur la promenade mais vers l’est, il y a cette maison arabisante – comme il y a plus loin vers le sud de cette péninsule la maison des roses de ce couturier des années cinquante – c’est un roc, c’est un cap c’est un pic, que dis-je c’est un pic, c’est une péninsule – cette maison que quelqu’un a prise en photo, on voit un ectoplasme, une femme coupée en deux on ne voit que son visage ses lunettes de soleil son torse dans un maillot rose – derrière elle la maison – on se demande un peu ce que ça vient faire là – foutre serait mieux mais c’est impoli – ce que ça vient foutre là sinon combler le désir d’un ou d’une illuminé.e – cette forme inclusive me fait braire – je dirais bien autre chose mais ce serait impoli – la nouvelle doit être civilisée, la littérature, les mots – les sons et les odeurs, ne pas oublier celle du vinaigre sur les frites, le type qui vendait des frites devant le collège, à A. tu ne devineras jamais comment il se nommait – Diaz marqué en lettres rouges doublée de noir sur les côtés de son triporteur à moteur, quand il vendait des glaces au début de l’été – à A. cependant l’été n’en était pas un – la selle du triporteur était suspendue par deux ressorts visibles – le vinaigre sur les frites c’est plutôt l’automne – il faudrait regarder si quelque chose de ce type se trouve sur quelque photo du lieu – c’est un autre sujet mais c’est le même, je ne sais pas de qui il peut bien s’agir, il est là, regarde au loin l’immensité du bleu de la mer, il n’y a pas de soleil ou alors très léger caché par une brume d’automne sur la gauche de l’image dans les poches de son peignoir il a ses mains fermées en poing et il regarde

 

 

Sept images

 

 

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1 Comment

    viens de le lire
    bravo
    suis bloquée (par le 3ème bloc, le retour sur soi)