Pendant le weekend

Atelier NJB Volte Face

 

eh bien, les choses se passent dans le cadre d’un atelier d’écriture initié par Anne Savelli sur son site où elle nous propose d’écrire quelque chose qui serait en relation avec un seuil – dans la profusion d’adresses dédiées à Norma Jeane Baker aka MM. je choisis celles-ci  où bien des choses sont expliquées et d’autres encore peu divulguées. Une espèce de feuilleton de l’été qui commence (ici) à la mi-août (pratiquement) : j’ai saisi l’occasion pour tenter de mettre en forme une affaire qui depuis trop longtemps gît un peu dans les brouillons de pendant le week-end – je n’y parviens point, je relis, je recherche le livre « Le Prisonnier » d’Anna Laura Braghetti sans le trouver je cherche encore ici (l’Odysée), là (chez Gibert) mais non… Ça viendra je suppose, essayons. J’illustre ici de deux images dramatiques, c’est déjà fini à peine débuté 

Bonne lecture.

 

 

 

 

c’est qu’il fallait le cacher, qu’il ne se voit surtout pas – c’était un secret, il était là mais on ne le savait pas ou, du moins, quiconque d’autre : ils étaient quatre, au moins, à le tenir là prisonnier; l’une d’entre eux (il y avait trois hommes, et elle) était celle qui connaissait les gens de l’immeuble – il était situé au huit de la rue, elle connaissait la vieille dame du deuxième – ils vivaient au premier, et c’est là qu’ils avaient construit le réduit – elle lui faisait ses courses, elle garait sa voiture au sous-sol, c’est là qu’ils étaient arrivés, c’était en mars, le seize – dire qu’ils y vivaient est un peu excessif ça ne s’appelle pas vivre, ils y étaient et le gardaient au secret lui, cet homme de soixante deux ans, il portait un survêtement de sport (sa fille dira le choc de le voir dans cette tenue) et toute la journée assis sur le lit il écrivait, des lettres à ses proches comme à ceux de sa corporation mais ceux-là l’avaient largué, il n’était pas question pour eux de transiger et de négocier, non, rien, il avait même fait appel à l’autorité suprême – cet homme avait la foi, il priait, tous les matins il allait à la messe dans la même église moderne faite de briques, ronde et laide, sur le chemin qui le conduisait de son domicile (au nord de la ville, sur la rue Forte Triomphale) à son bureau à la présidence d’un parti qui n’existe plus – mais celle-ci, cette autorité innommable, avait enterré encore un peu plus l’espoir qu’il pouvait mettre dans les hommes et dans leur compassion – c’était trop fort pour lui et le pape, puisqu’il s’agit de lui, l’innommable, avait alors signé là son arrêt de mort. Tous les matins, pendant ces cinquante cinq jours, il paraît qu’il avait prié, à genoux devant son lit dans l’exiguïté de ce réduit dissimulé derrière une bibliothèque, un mètre cinquante de large sur un peu plus de trois de long, l’homme était là et mangeait des légumes, prenait quelques médicaments. On dispose d’une photographie de lui, elle parut dans le journal, il tient devant lui un journal pour authentifier son existence qui ne tient qu’à rien devant l’objectif, il a adopté une espèce de sourire un peu triste, il y a l’étoile derrière lui signifiant ceux qui l’ont enlevé, il y a ce regard… Moi je ne sais pas, c’est un homme qui m’a toujours fait un peu de peine peut-être parce qu’il venait d’être grand-père (je crois que c’était son deuxième petit enfant, je ne sais pas exactement) et qu’il en parle dans ses lettres à sa femme. Il existe un recueil de ces lettres, comme il existe un texte de lui par lui nommé Mémorial – il semble qu’on ait fait disparaître ces preuves, ces objets, ces réalités : ce « on », en l’état, c’est l’État lui-même ; c’est que cet homme gênait le bon déroulement des choses, il voulait s’allier au parti communiste pour gouverner le pays avec lui barrer la route au fascisme, à la mafia qui avait les traits du président du conseil des ministres d’alors ; ça ne s’est pas fait, comme on sait. Comme on sait aujourd’hui, plus de quarante ans plus tard, le seuil est en passe d’être franchi – il y a une chanson qui fait « il suffit de passer le pont / c’est tout de suite l’aventure », les chansons racontent souvent des histoires vraies ou des sornettes –

on l’a retrouvé non loin de la rue des Boutiques Obscures, recroquevillé dans le coffre d’une quatre L rouge, huit balles dans le corps et du sable dans le revers de ses bas de pantalon pour faire croire à une détention proche des côtes, c’est un homme qui serait sans doute mort aujourd’hui comme la plupart de ceux qui l’ont laissé choir – il y a sans doute là, de ce fait, une justice mais dans quelle mesure cette humanité-là ne ressort-elle pas de la canaille ? Plus tard, donc la police est entrée dans cet appartement, au premier étage d’une rue d’un quartier résidentiel du sud de Rome, dans le douzième arrondissement, elle a découvert le réduit, le garage, la vieille dame du deuxième qui ne se doutait de rien. C’est ainsi dans ce monde-ci, les choses vont comme elles vont (de temps en temps la terre tremble, dit le poète).


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