Pendant le weekend

1457 Vendredi 5 juin 2020 (Oublier Paris #92)

 

j’entame une semaine – la cinquante et unième de la soixante septième année – quantième trente quatre quatre vingt trois – journées : fois sept (soit vingt quatre trois cent douze) – dans un Paris dépeuplé (la pluie – les ouvriers de la rue Jacob, en train de fixer quelques poutres pour construire une terrasse confortable aux happy few « bizarre comme il y a moins de vélo » et de rire – la pluie tombe un peu – longtemps j’ai vécu dans ce quartier conscient de sa supériorité sur le reste total de la rive, de la ville, du pays et du monde entier – longtemps par ces rues j’allais aux cinémas du quartier voisin estampillé latin – rue de Lille officiait le tordu du cigare – dans ce qu’ils finirent par nommer « carré » (les vendeurs d’objets dits d’art) de la rive, bon nombre de statues, j’ai croisé (après passage devant Port Royal (palace littéraire – vitrines du restaurant chaulées – le suivant je ne suis pas sûr qu’il soit fermé (aux balcons de la suite impériale, les trois flèches croisées – sans image – puis la rue débaptisée Sébastien Bottin, puis celle de Beaune) j’ai croisé dis-je le couple trois cent soixante deuxième

on ne rentre pas demander le prix – on ne demande pas les prix – c’est fermé – de toutes manières, c’est moche – dans les rues quelques passant(e)s masqué(e)s – votre serviteur ne supporte pas le signe, il ne le porte qu’en autobus – le coin du quai marqué d’un restaurant (on affiche le menu : repas de midi, pas moins de cent euros, t’inquiète) (je me souviens de « turbot sauvage poché (etc)  » à quatre-ving-huit quand même (j’aime le poisson cependant : nous n’avons pas la même classe, certes) je me suis souvenu du temps où il y avait là un tabac, où les voituristes stationnaient moteurs tournants, où avec TNPPI on mangeait des sandwichs au rosbeef – l’hôtel où elle vivait est en travaux

bientôt rénové – grands frais, grande adresse, grand prix – le pont, celui du Carrousel, sans mendiant car sans touriste, augmenté de la pluie le fleuve et là, on sonde

au bout du fil (tu te souviens de « au bout du téléphone/il y a votre voix/ et il y a ces mots/ que je ne dirai pas » ? moi oui) des bulles

le fleuve brouillé (c’est la même qui chantait « les ronds dans l’eau » – elle ne chante plus, si ? – et Benoît aussi…)

(Chirac qui jurait qu’il traverserait le Styx à la nage s’il était élu dans les années à venir – promesses floues, crues, vides – il vécut en face, non loin, chez son ami) doucement dans une eau sale

apparaît le plongeur (masqué, fatalement)

casque jaune il s’éloigne, vue brouillée, ici même, il y a un peu plus de vingt cinq ans un premier mai – et on ne change pas la plaque, le nom propre de cet homme, Bouarram assassiné encore écorché- ah Paris, quelle pitié quelle honte… –

une pensée pour Camélia Jordana – une autre pour Assa Traoré et son frère mort – une autre encore au delà de l’océan pour Georges Floyd – nous autres, enmasqués sur nos certitudes de virus, les morts d’ici – le quai : dans la cour du Louvre, personne – passe un bus (le six neuf : dedans nous serons deux plus le chauffeur) (et mon masque) le quai l’ex-ministère des finances, la passerelle décadenassée – et en face, le café où Modiano (ou son héros) retrouvait son père (ou quelqu’un d’autre) (« étonnez-moi, Benoit » a-t-il écrit) (nobel littéraire  – comme Bob Dylan : je ne sais s’il a repris son never ending tour – sans doute pas…)

ici des mendiants vêtus de rose sous la bâche (il va probablement falloir que ce café change d’appellation) – Paris la pluie les rues vides de touristes une limousine et un néon rouge – back in Babylone

 

 

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2 Comments

    je ne peux m’empêcher d’avoir une certaine tendresse pour ce quartier (et j’y ai toujours circulé sans guère de sous… avec à une époque la visite en gros une fois par mois des antiquaires du quai Voltaire, en sonnant et prévenant que venais juste regarder, le plus souvent bien accueillie) mais bon sans illusion, même si l’argent se fourvoie de plus en plus maintenant chez des butors
    et oui pensées prégnantes pour les violences policières là bas mais ici, le racisme là bas mais ici
    vide de touriste, Paris survivra, Avignon c’est moins sûr (bon c’est pas la même taille)
    pardon demandé pour ma prolixité

  • Back too… L’autre jour j’avais vu un petit bateau à roues dentelées sur le canal Saint-Martin qui s’attaquait enfin à ces sortes d’algues remontant du fond comme pour sortir, elles aussi, du confinement imposé.

    Hier soir, les terrasses étaient pleines et on se demande bien comment les fameux « gestes barrières » peuvent être respectés.

    Le seul qui s’impose, en ce moment, serait logiquement le genou mis à terre, en cohésion avec le refus des violences policières (sans guillemets) mais on peut attendre encore longtemps ici, de la part de nos représentants gouvernementaux, la même génuflexion que celle du Premier ministre du Canada, Justin Trudeau. 🙂