Pendant le weekend

Journal des frontières #3

 

Je pose ici ce billet qui est comme une aide pour la journée de formation des médiathécaires du réseau Marne-et-Gondoire, du huit septembre 2015. Les univers que je côtoie sont, le plus souvent pourtant, locaux ou déjà connus : j’y retourne. Ici, cependant, a eu lieu une sorte de première que je décris à l’aide des photos prises parce que j’appelle le robot qui est installé sur une voiture, laquelle-conduite (encore ?) par un humain- sillonne les routes rues et chemins du monde (presque) entier. 

 

Lors de la réponse à la demande de résidence numérique de la Communauté de Communes de Moret-Seine-loing à laquelle le collectif l’Air Nu a participé, diverses pistes ont été suivies : pour ma part, j’ai tout d’abord consulté le planning des manifestations annoncées sur le site (le souvenir en reste : tournoi de bridge, voeux divers, loto puis loto jeune, fêtes diverses comme la Saint Patrick, ou commémoration du 19 mars 1962 cessez-le-feu de la guerre entre la France et l’Algérie, d’autres choses encore, j’en ai une liste non loin, quelque part, je ne sais pas exactement-dans le dossier CCMSL comme il se doit). Ensuite, je suis allé me renseigner ailleurs sur d’autres sites, puis sur d’autres encore.

J’ai vaguement suivi la genèse de ma réponse mais un peu comme d’habitude, je n’ai pas fait très attention (« d’habitude »est d’ailleurs assez incorrect : il s’agit d’une première, mais lors d’autres travaux-notamment sociologiques-où des réponses sont attendues par des demandeurs, je prends garde aux conditions de productions desdites réponses, je note des idées, des pistes, des débordements, des en-cas-de, des films ou des livres, des histoires ou des humeurs, toutes sortes de choses plus ou moins dévolues à un oubli fructueux).

Les oublis sont souvent fructueux ne serait-ce que parce qu’ils nous permettent de nous en souvenir s’ils nous sont reprochés, ce qui arrive fréquemment – pour les autres, ils ont fondu, ailleurs, quelque part, n’importe où… mais peuvent aussi réapparaître à un moment, quelconques ou non, utiles ou pas, ou désirés, honnis, haïs retrouvés remémorés ré-enchantés à nouveau rejetés… Il en est ainsi de certains clichés : exactement (c’est la -une au moins- raison de la série développée ici nommée « Sur le bureau« ).

Aujourd’hui, dimanche, fin d’après-midi, 6 septembre 2015 me sont revenus certains clichés ; j’avais alors, à ce moment-là, c’était en janvier, décidé d’arpenter ce territoire à l’aide de ce robot mis à notre disposition par ce « moteur de recherche » et je retrouve (je m’en souvenais) cette série qui débute ainsi

3. 1 Ecuelles

vue de haut, on ne sait pas exactement (on voit certes, le Loing figuré en haut gauche cadre, on se trouve quelque part : qui reconnaît sinon les autotochtones ?). Le robot indique, comme on voit un point A (jamais bien compris ce qui était indiqué : ici, une mairie, ailleurs une école -parfois les deux en un même lieu se conjuguent, certes- ailleurs une église un lieu dit, un monument remarquable, quelque chose probablement). Je ne cherche pas spécialement les humains, mais ils apparaissent.

3.3 Ecuelles

ici cette dame cherchant son pain (elle sort d’une boulangerie, main droite une baguette, main gauche le journal; on doit être le matin; il ne fait pas si chaud, ce doit être l’automne -le robot indique certes une date, mais laquelle est-ce ? je ne sais plus, je ne fais pas trop attention aux informations données par cette engeance, je ne l’aime guère, je sais bien qu’elle est servie par un humain comme moi-j’ai souvent vu ce type de véhicule conduit-servi- par un être comme moi, je crois, mais je ne m’intéresse que peu aux mots qu’il peut proférer, en bas de l’image qu’il me transmet).

3.2 Ecuelles

Cinq secondes plus tard, la même. On n’a pas encore décelé chez elle la réalité des mocassins blancs, du parement, blanc tout autant du côté de pantalon – façon smoking.

Entre dissimulation et démonstration, où se trouve la frontière ?

J’ai parcouru la petite ville (il pourrait tout aussi bien s’agir de quelqu’un qui y serait connu, une sommité, que sais-je ? mais je ne sais pas, une femme certes, d’un certain âge aussi, alerte et peut-être, sans doute informée cheveux courts poivre et sel plutôt sel, voilà ce que j’en sais). Ailleurs, un autre moment, plus tard peut-être.

3. 3. 2 Ecuelles

C’est bien à nouveau elle : on note le regard caméra, sans doute plus prononcé que précédemment : comme une sorte d’intrusion ? (les inscriptions donnent des détails : ainsi, les familiers du groupe scolaire ou de l’école maternelle sauront-ils qu’il s’agit bien de leur ville : comme on voit, l’intrusion devient de plus en plus prégnante). Quelque chose qui ennuie, c’est ce qui m’est apparu sur la photo suivante

3. 4 Ecuelles

Comment ? On m’observe ? Et ce « on », qui est-ce ? Qui pour prendre des photos ainsi avec quelle autorisation, quelle demande, quelle assentiment ? Il y a là quelque chose d’impressionnant. Quelque chose d’indigent, qui me fait souvenir des diverses injonctions dont nous sommes abreuvés si on ouvre une télé, une radio, ou un journal – la publicité.

Quelques instants plus tôt, la même, non flouttée (les algorithmes ne sont pas parfaits non plus : lunettes, magazine plutôt que journal, elle regarde peut-être la une (les deux photos précédentes suivent celles-là) 3. 5 Ecuelles

Ici donc, publicité sur cette dame allant chercher son pain, son journal, passant sur la place au même moment que ce robot la croise, alors qu’il la dépassait lorsqu’elle sortait de ce petit commerce, ici donc aussi ce gimmick qui consiste à masquer les visages afin qu’ils ne soient pas reconnus… Mais de qui ? Dans quelles conditions ? Sous quels prétextes ? Où se situe la véritable intrusion : est-ce la prise, ou est-ce la vue ? En tout cas, cette auto ne passe pas inaperçue (on notera le filigrane sur la nouvelle version de l’image robot, le nom de la rue, le tout renseignant un peu sur la géographie de l’endroit : Georges Villette, est-ce un édile ? je ne sais…).

dame écuelles 5

Des questions qui se posent : nous utilisons, par jeu, par amour du voyage immobile, par désir de connaître d’autres lieux, d’autres moeurs, d’autres hexis, d’autres vies et d’autres cultures ce que nous propose le/un robot. Mais en réponse, aussi, se trouve convoquée et foulée notre liberté d’être ou pas autrement que nous voudrions paraître. Dans nos gestes les plus quotidiens, dans nos promenades, nos errements. Plus rien n’échappe, tout sera connu : certes, si ici, je dévoile quelque chose, il s’agit plutôt de tenter de rendre compte de cet état de choses (encadré, d’une certaine manière semble-t-il, par la commission nationale de l’informatique et des libertés).
Il ne fait pas de doute que si cette personne se manifeste, et qu’elle me demande – ou même exige- de disparaître de ce blog-ce médium, cette source d’informations, de connaissances, de cultures- on accèdera à sa demande…

 

 

Journaux précédents :

numéro 1

numéro 2 sans y avoir été

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