Pendant le weekend

La Pecora nera (le mouton noir)

C’est au Lucernaire, une salle de cinéma historique (c’est aussi un théâtre) (historique, oui, Laurent Terzieff on s’en souvient), rue Notre Dame des Champs (Paris 6), à deux pas du Montparnasse-Monde : trois salles en sous-sol auxquelles on accède par un petit escalier, devant cette entrée des boîtes de bouquinistes (beaucoup d’ouvrages de l’éditeur L’Harmattan : on aime cette maison pour son travail en sciences humaines) et une « Sociologie du public de cinéma » (un « 128 » de La Découverte :; on aime cette maison aussi, pour son travail dans le même champ). De bons auspices, probablement (encore que le libraire qui contrôle aussi les billets, semble-t-il, nous ait lancé un regard typiquement parisien à l’entrée) (ce genre de regard qu’on obtient quand on demande un verre d’eau dans un café : c’est cette ville qui veut ça, on vous toise, on vous méprise, on vous laisse finalement passer sans un mot et encore moins un sourire – et quoi encore ?- on trouve le même type de comportement sauvage à Rome, mais pas à Lisbonne) (le mot « sauvage » a changé de connotation depuis quelques mois, pour moi).

C’était samedi, vers cinq heures (l’heure idéale pour aller au ciné, je trouve). Nous étions 9 dans la salle (j’ai perdu mon pari…). On pense à Cannes (demain -enfin, c’était hier-, dans un autre cinéma historique, le Studio 28 qui projette, en avant première probablement, le dernier film de Terrence Malick, « L’arbre de vie »-à éviter absolument-  – allez on traduit en français malgré cette mode de laisser les titres plus ou moins dans leur version d’origine – c’est pour faire anglo-saxon, qui est la nationalité du cinéma selon Hollywood… et donc des tenants de cette politique ici…).

« La Pecora nera » (le mouton noir) l’histoire terrible d’un enfant malmené par le monde, sa famille d’abord (deux frères ignobles, un père absent qui ne comprend rien, une mère qui meurt folle dans un asile d’aliénés) puis le reste du monde probablement. Une mise en scène comme on en attend : presque invisible, des moments de caméra à l’épaule, une photographie sensible, des acteurs simples, souples, tranquilles. Le petit garçon est donc recueilli par une de ses grand-mères,  il semble à l’école un peu en retard, « on commence par un portail, puis deux puis trois » dit la voix off

ils escaladent le 1°, le 2°, le 3°, ils courent…

Drôle, inattendue, une narration fluide, le petit garçon a vieilli, est-ce bien lui qui, aujourd’hui, dans un supermarché, fait des courses pour cet asile dans lequel flotte pourtant un air de liberté ?

Je me souvenais des années soixante dix, Ronald Laing, « Le Moi divisé », Bruno Bettelheim et « La Forteresse vide », tandis que de flash back en voix off, l’histoire se déroulait. Dans l’asile, a-t-il là une sorte d’ami, ce mouton noir ?

« Aller s’enfermer à l’état civil ? On va plutôt aller se balader ! » (Nicola bis, interprété par Giorgio Tirabassi)

Probablement un faux ami, comme on en trouve dans les contes ou les traductions. Souvent, la mort rôde, la folie telle qu’en elle-même, une façon de vivre aussi, alors l’accepter probablement, tenter de voir là, aussi, quelque chose de l’humanité (si notre héros ne supporte guère la vie, au moins lui reste-t-il l’amour…

« C’est un responsable du personnel qui m’a aidée… » (Marinella, l’amour de jeunesse, interprétée par Maya Sansa)

ou ce qu’il conçoit ainsi). Non, l’histoire ne peut pas se terminer comme les rêves le voudraient. Non, la réalité est là : une bonne soeur qui revient de sa visite au Vatican dans un taxi Mercedès du même ton que sa robe, des médicaments qu’on ne prend plus, des sacs de plastique qui s’amoncellent sous le lit… Non, la vie en folie n’est pas douce. Et oui, le reste du monde est cruel, la réalité lourde à porter, pour tous, et lorsque cette enfance que nous tous avons vécue se trouve tachée de haine pour soi comme pour le monde, on s’en invente une autre, plus tendre, plus drôle, moins blessante. Mais l’histoire nous rattrape, le temps avance et la vieillesse approche, se tient là.

« Etre baigné par la chaleur du soleil… » (le monologue du vieillard; à droite, Nicola interprété par le réalisateur)

 Un film dur sur la condition des humains quand la reconnaissance et l’amour manquent à l’enfance. 

 



Share

7 Comments

    je guetterai ce film, vous trouvez les mots pour m’encourager à reprendre le chemin des salles obscures. Terence Malik… non vraiment ?

  • « Non, la vie en folie n’est pas douce. »

    Affinité probable avec le très beau livre de

    Michel Jullien
    Au bout des comédies
    Verdier, 2011, 192p.
    978-2-86432-640-3

    en particulier le texte sur Charles Meryon, L’antichambre de l’eau-forte.

    http://curriculum.walsallgfl.org.uk/inspiringcreativity/GR166%20-%20Charles%20Meryon%20-%201821-1868%20-%20Le%20Petit%20Pont%20Paris%20(The%20Little%20Bridge)%20-%201850_small3.jpg

    (Il faudrait l’art d’un « lettreur » pour atténuer le choc de bien des URL.)

  • Tu l’as vu (oui, il est sorti hier), le dernier Terrence Malick ?

    « La Ligne rouge » est un grand film, j’espère voir « The Tree of life » (d’autant que son patronyme fait penser à Kubrick, non ?).

  • @ Elise : Je vous suggère d’aller le voir et de me dire votre sentiment, si vous voulez…

  • @ ap : Merci pour le lien (même s’il est un peu incompréhensible pour nous, pauvres humains…)

  • @ Dominique Hasselmann : Oui, je l’ai vu, oui, « La Ligne rouge » est un bon film… Mais celui-là, bof bof, trois fois bof…

  • […] « plus on est de fous, plus on rit ». Mais ce monde-là n’aime pas les fous. Il préfère les exclure. Par l’argent, […]